Oubli d’une compresse au cours d’une opération et partage de responsabilité entre le chirurgien et la clinique

Oubli d’une compresse au cours d’une opération et partage de responsabilité entre le chirurgien et la clinique
Publié le 11/12/23

Le 14 avril 2009, une patiente a bénéficié de la pose d’implants mammaires produits par la Société Poly Implants Prothèse (la société PIP).

Les suites de l’intervention chirurgicale ont été simples.

En mars 2010, l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé (l’AFSSAPS), constatant une augmentation du nombre de ruptures de l’enveloppe des prothèses PIP a réalisé, dans les locaux de la société PIP, une inspection qui a révélé que les implants avaient été remplis avec du gel de silicone différent de celui déclaré par la société lors de sa mise sur le marché. Elle a donc préconisé, pour toutes les patientes concernées, un rappel avec suivi régulier de l’évolution des prothèses implantées, tout en suspendant la mise sur le marché de ces prothèses. 

A la suite de ces recommandations, la patiente a sollicité le retrait de ses implants, qui a été réalisé le 14 janvier 2013.

Le lendemain, la patiente a regagné son domicile avec une prescription de pansements à suivre durant quinze jours.

Cependant, les suites de l’intervention d’exérèse ont été marquées par un écoulement sur la partie médiane de la cicatrice péri-aréolaire du sein droit avec défaut de cicatrisation et douleurs persistantes.

Le 4 mars 2013, le chirurgien a décidé de réopérer sa patiente sous anesthésie générale pour une tuméfaction du sein droit avec mise à plat et drainage.

A la suite de cette deuxième opération, dont le compte-rendu ne mentionne la présence d’aucune collection ni corps étranger, un écoulement discontinu a persisté au niveau de la cicatrise, conduisant un autre praticien, en l’espèce le gynécologue de la patiente, à prescrire une échographie mammaire.

Celle-ci a révélé la présence d’une volumineuse formation hyper atténuante de six centimètres de largeur par trois centimètres de hauteur bien palpable, décollement périphérique de la coque rétractile sur son pourtour antérieure et écoulement par une porte de fistulation sous mamelonnaire. 

Le 21 mai 2013, la patiente a été réopérée, une troisième fois, par un autre chirurgien qui, en explorant, a découvert la présence d’une compresse de cinq centimètres par cinq centimètres. 

Celle-ci retirée, les suites ont été simples.

La patiente a alors saisi le Juge des Référés du Tribunal de Grande Instance territorialement compétent, lequel a, par ordonnance en date du 7 juillet 2015, ordonné l’organisation d’une mesure d’expertise judiciaire. 

L’Expert Judiciaire a déposé son rapport définitif le 22 décembre 2015.

Par actes en date des 6 et 8 juin 2018, la patiente a assigné l’hôpital privé où elle a été opérée le 14 janvier 2013 ainsi que le chirurgien, aux côtés des tiers payeurs, afin de solliciter l’indemnisation de ses préjudices.

Par jugement en date du 18 novembre 2021, le Tribunal Judiciaire de TOULON a : 

  • Déclaré le chirurgien et l’hôpital privé responsables des préjudices subis par la patiente à la suite de l’intervention du 14 janvier 2013 ; 
  • Condamné in solidum le chirurgien et l’hôpital privé à payer à la patiente la somme de 16.712,72 euros en réparation de ses préjudices ; 
  • Dit que dans les rapports entre co-responsables, l’indemnisation sera supportée à hauteur de 75% par le chirurgien et 25% par l’hôpital privé.   

Par déclaration en date du 6 janvier 2022, ce dernier a interjeté appel de cette décision, contestant toute responsabilité de sa part dès lors, d’une part qu’il appartenait au seul chirurgien d’être vigilant et, d’autre part que le personnel soignant salarié de l’hôpital privé se trouvait, au moment des faits survenus au bloc lors de l’intervention chirurgicale, sous l’autorité du chirurgien qui, dès lors, est seul responsable de l’oubli de la compresse. 

Or, par arrêt en date du 6 juillet 2023 (Cour d’Appel d’AIX-N-PROVENCE, Chambre 1-6, 6 juillet 2023, RG n°22/00235), la Cour d’Appel d’AIX-EN-PROVENCE a rejeté l’argumentation développée par l’hôpital privé et confirmé, en toutes ses dispositions, le jugement rendu en première instance. 

Comme le rappelle la Cour d’Appel d’AIX-EN-PROVENCE, en application des dispositions de l’article L.1142-1 I du Code de la Santé Publique, hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d’un défaut d’un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent Code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute. 

Il appartient à la victime, qui prétend être indemnisée de préjudices, de démontrer en quoi le médecin et/ou l’établissement de soins ont manqué à leur obligation de diligenter des soins consciencieux, attentifs et conformes aux données acquises de la science au jour de l’acte médical et, cette preuve étant rapportée, le lien de causalité entre le ou les manquements et les préjudices dont elle demande réparation. 

En l’espèce, il résulte du rapport d’expertise qu’une compresse a été oubliée dans le corps de la patiente lors de l’intervention d’explantation de la prothèse mammaire qui a eu lieu à l’hôpital privé, le 14 janvier 2013. 

L’expert n’a pas retrouvé de preuve d’un comptage des compresses lors de l’intervention. 

Par ailleurs, il souligne que, postérieurement à l’oubli de la compresse, aucune imagerie n’a été réalisée par le chirurgien en dépit de signes évoquant une complication locale alors que, si une échographie avait été réalisée d’emblée, elle aurait permis de poser le diagnostic et d’éviter l’échec de l’intervention du 4 mars 2013. 

L’oubli d’un corps étranger dans le corps d’un patient pendant une intervention chirurgicale démontre une inattention lors des soins, révélant, soit que les compresses n’ont pas été comptabilisées avant et après intervention, soit qu’elles l’ont été de manière inexacte. 

En ceci, il consacre un manquement fautif. 

Le chirurgien qui a opéré, ne le conteste pas, pas plus qu’il ne conteste avoir commis un autre manquement fautif après l’intervention en ne réalisant aucune imagerie en dépit de signes évoquant une complication locale afin de poser le bon diagnostic. 

L’hôpital privé, en revanche, conteste être responsable de l’oubli de la compresse, considérant d’une part que le personnel mis à la disposition du chirurgien pendant l’intervention se contente d’exécuter les instructions du médecin sans prendre la moindre initiative, d’autre part que le protocole en vigueur en son sein n’impose que le comptage des grandes compresses. 

Il n’existerait aucun texte réglementaire qui impose le comptage des compresses lors d’une intervention chirurgicale. 

Cependant, la Haute autorité de santé impose depuis 2010, dans le cadre de la procédure de certification des établissements de santé, la mise en place d’une « check-list » lors des interventions chirurgicales afin de recenser le matériel utilisé et de veiller à ce qu’aucun ne soit oublié dans le corps du patient. 

Le comptage est donc recommandé par la HAS au titre des bonnes pratiques concertées entre les différents intervenants au sein du bloc opératoire. 

Il est d’ailleurs présenté par celle-ci comme un outil de sécurisation des prises en charge sanitaires. 

Il en résulte que ce sont le comptage et la concertation entre les différents intervenants qui permet une sécurisation optimale de la prise en charge sanitaire. 

Au sein d’un bloc opératoire plusieurs professionnels interviennent. 

Une infirmière dite « circulante » assure le relais entre l’équipe opératoire stérile (et donc le chirurgien) et l’environnement non stérile. 

Par définition, le chirurgien ne peut se déstériliser pour prendre en charge le comptage du matériel utilisé en fin d’intervention avant de refermer la plaie. 

La tâche de comptage des compresses incombe donc matériellement à l’infirmier et il s’agit d’un acte relevant pleinement de la compétence de celui qui y procède sans qu’aucune instruction ne soit nécessaire de la part du chirurgien. 

De son côté, le chirurgien doit, avant de commencer l’intervention et après le dernier point de suture, s’assurer que le comptage a bien été effectué et que le nombre de compresses et champs récupérés correspond au nombre initial. 

L’intérêt de cette « check list » réside donc dans le comptage, la comparaison des chiffres avant ouverture et après fermeture du corps du patient, le tout sous le double regard de l’infirmier et du chirurgien afin de minimiser les risques d’oubli. 

Dans cette mesure, l’argumentation de l’hôpital privé qui, se prévalant du protocole en vigueur en son sein, soutient que seules les grandes compresses devaient être comptabilisées, est inopérante. 

Outre que ce protocole n’est pas produit aux débats, il n’a aucun sens en regard de la procédure de sécurisation dont la teneur a été rappelée ci-dessus et dont l’objectif est de recenser l’ensemble des compresses utilisées. 

A supposer qu’un tel protocole soit en vigueur au sein de l’établissement, il ne permet pas de sécuriser dans les meilleures conditions la prise en charge sanitaire des patients puisque la distinction grandes/petites compresses n’est pas compréhensible dès lors que le risque d’oublier une compresse de petite taille, donc moins repérable, est tout aussi, voire plus, prégnant. 

En l’espèce, c’est justement une compresse de petite taille qui a été oubliée dans le corps de la patiente.

Au regard de ces éléments, le document produit par l’hôpital privé, intitulé « suivi d’intervention » et mentionnant le comptage de grandes compresses, à savoir vingt données et vingt reçues, au demeurant dénué de tout élément d’identification du patient ou de l’intervention, est inopérant. 

L’hôpital privé concède ne pas être en mesure de justifier du comptage des compresses lors de l’intervention du 14 janvier 2013. 

Il en résulte que lors de l’intervention du 14 janvier 2023, ce comptage par le personnel et sa vérification par le chirurgien n’ont pas été assurés dans des conditions permettant une prise en charge sanitaire sécurisée de la patiente. 

La responsabilité en incombe à égalité au personnel de l’établissement qui aurait dû compter toutes les compresses, petites ou grandes, et au chirurgien qui aurait dû s’assurer qu’un comptage exhaustif avait bien été réalisé et qui, au demeurant ne conteste pas sa part de responsabilité. 

Chacun des responsables d’un même dommage devant être condamné à le réparer en totalité, c’est à juste titre que le tribunal a condamné le chirurgien et l’hôpital privé in solidum à réparer l’intégralité du préjudice subi par la patiente.

Par ailleurs, dans les rapports entre co-responsables, au regard des éléments exposés plus haut, c’est également à juste titre que le Tribunal Judiciaire de TOULON a dit que le chirurgien est responsable de 75 % des préjudices (25 % au titre du manquement fautif au cours de l’intervention et 50 % au titre du manquement postérieur dans le repérage de la complication) et l’hôpital privé, qui en tant que commettant répond des fautes de ses préposés, de 25 % de ceux-ci. 

Par conséquent, tant le chirurgien que l’hôpital privé seront tenus, tous les deux, d’indemniser les préjudices subis par la patiente à la suite de l’oubli de la compresse lors de l’opération. 

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