Chute d’un résident dans un EHPAD et responsabilité du CCAS

Chute d’un résident dans un EHPAD et responsabilité du CCAS
Publié le 18/12/23

Le 14 octobre 2014, une femme âgée de 86 ans, a été admise au sein de l’Etablissement d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes les Cygnes de LEERS (l’EPHAD), géré par le Centre Communal d’Action Sociale de LEERS (le CCAS). 

Entre son admission dans cet établissement et son décès, survenu le 8 septembre 2017, à l’âge de 89 ans, la résidente a subi six chutes. 

Estimant que la chute survenue le 10 août 2017, ayant entraîné une fracture supra-condylienne du fémur gauche, était intervenue dans des conditions susceptibles d’engager la responsabilité du CCAS de LEERS, la fille de la résidente a saisi le Juge des Référés du Tribunal Administratif de LILLE afin de solliciter l’organisation d’une mesure d’expertise judiciaire.

Par ordonnance en date du 27 mai 2019, il a été fait droit à cette demande.

L’Expert Judiciaire a déposé son rapport définitif le 10 avril 2020.  

Par lettre recommandée avec accusé de réception, reçue le 28 juillet 2020, la fille de la résidente a sollicité, auprès du CCAS de Leers, l’indemnisation des préjudices résultant de la prise en charge défaillante de sa mère au sein de l’EPHAD les Cygnes. 

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 6 octobre 2020 et le 14 septembre 2021, la fille de la résidente a saisi le Tribunal Administratif de LILLE afin de solliciter la condamnation du CCAS de LEERS à lui verser la somme de 40.317,75 euros en réparation du préjudice subi en raison des conditions de prise en charge de sa mère. 

Pour ce faire, elle soutient que les soignants de l’EHPAD les Cygnes ont commis une faute, le 10 août 2017, en ne respectant pas le protocole de prise en charge, lequel prévoyait l’utilisation du verticalisateur pour déplacer sa mère.

Cette faute dans l’organisation et le fonctionnement du service serait de nature, selon elle, à engager la responsabilité du CCAS de LEERS. 

De son côté, ce dernier conteste toute responsabilité de sa part, en soutenant que la chute dont a été victime sa résidente, le 10 août 2017, n’est pas la conséquence d’une faute commise par le personnel de l’EHPAD ou un défaut d’organisation du service, l’utilisation du verticalisateur n’étant ni obligatoire ni de nature à empêcher tout risque de chute. 

Or, par jugement en date du 20 juin 2023 (Tribunal Administratif de LILLE, 6ème Chambre, 20 juin 2023, N°2007075, Requête n°65170), le Tribunal Administratif de LILLE a fait droit à la requête de la fille de la résidente et condamné le CCAS.  

Comme le rappelle le Tribunal Administratif de LILLE, aux termes de l’article L.123-5 du Code de l’Action Sociale et des Familles : 

 » Le centre communal d’action sociale peut créer et gérer en services non personnalisés les établissements et services sociaux et médico-sociaux mentionnés à l’article L. 312-1. « . 

L’article L.312-1 de ce code dispose que : 

« I. – Sont des établissements et services sociaux et médico-sociaux, au sens du présent code, les établissements et les services, dotés ou non d’une personnalité morale propre, énumérés ci-après : () 6º Les établissements et les services qui accueillent des personnes âgées ou qui leur apportent à domicile une assistance dans les actes quotidiens de la vie, des prestations de soins ou une aide à l’insertion sociale () « . 

Le I de l’article D. 312-15, dans sa rédaction applicable à la cause, précise que : 

 » I.-Les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes mentionnés au I et au II de l’article L. 313-12 : / 1º Hébergent à temps complet ou partiel, à titre permanent ou temporaire, des personnes âgées dans les conditions fixées à l’article D. 313-15 et fournissent à chaque résident, a minima, le socle de prestations d’hébergement prévu aux articles D. 312-159-2 et D. 342-3 ; 2º Proposent et dispensent des soins médicaux et paramédicaux adaptés, des actions de prévention et d’éducation à la santé et apportent une aide à la vie quotidienne adaptée ; / 3º Mettent en place avec la personne accueillie et le cas échéant avec sa personne de confiance un projet d’accompagnement personnalisé adaptés aux besoins comprenant un projet de soins et un projet de vie visant à favoriser l’exercice des droits des personnes accueillies ; / () « .

D’autre part, aux termes de l’article L.1110-5 du Code de la Santé Publique : 

 » Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l’urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir, sur l’ensemble du territoire, les traitements et les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire et le meilleur apaisement possible de la souffrance au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d’investigation ou de traitements et de soins ne doivent pas, en l’état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté. () « . 

En outre, aux termes du I de l’article L. 1142-1 de ce code : 

 » Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d’un défaut d’un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute « .

Le Tribunal Administratif de LILLE précise que la résidente a été victime de six chutes au cours de son séjour à l’EPHAD les Cygnes de LEERS, entre le 14 octobre 2014 et le 8 septembre 2017, mais que les quatre premières chutes sont intervenues alors qu’elle était seule, dans un contexte de reprise d’autonomie sans qu’un défaut de surveillance ne soit établi ou même allégué, tandis que la cinquième chute, survenue le 7 avril 2017, est la conséquence d’un défaut de poussée suffisante par la patiente sur les membres inférieurs, alors même qu’un verticalisateur était utilisé, de sorte qu’aucune faute ne peut être imputée à ce titre au CCAS de LEERS. 

Il résulte par ailleurs de l’instruction, et notamment du rapport d’expertise de l’Expert Judiciaire, que la sixième chute est intervenue le 10 août 2017, lors d’un transfert de la résidente de son lit vers un fauteuil par deux agents diplômés. 

S’il résulte de l’instruction que l’utilisation d’un verticalisateur n’était pas obligatoire, ni de nature, ainsi que le démontrent les faits du 7 avril 2017 précités, à écarter tout risque de chute, il est constant que ces agents, d’après la déclaration rectificative adressée à l’agence régionale de santé, n’ont pas employé le verticalisateur qui était mis à leur disposition, alors que le protocole de prise en charge de la résidente, défini en équipe pluridisciplinaire, prévoyait cette utilisation et que, selon l’Expert Judiciaire, le défaut d’utilisation  » du matériel mis à disposition a certainement augmenté le risque de chute « .

Par suite, la fille de la résidente et la Mutualité Sociale Agricole du NORD-PAS-DE-CALAIS sont donc fondées à se prévaloir du défaut d’utilisation de cet appareillage, constitutif d’une faute, pour engager la responsabilité du CCAS de LEERS.

Ce dernier sera donc tenu d’indemniser les préjudices subis par la résidente et sa fille à hauteur de 30%, correspondant au taux de perte de chance d’éviter la chute et ses suites lié au défaut d’utilisation du verticalisateur. 

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