Chute d’une personne imputable à un chien et à un muret de protection dont la hauteur était insuffisante

Chute d’une personne imputable à un chien et à un muret de protection dont la hauteur était insuffisante
Publié le 25/12/23

Le 9 août 2014, alors qu’elle promenait le chien de son ami, une femme âgée de 46 ans au moments des faits, s’est arrêtée et assise sur un muret dépendant d’une résidence privée, située dans les Pyrénées-Atlantiques.

Le chien lui a alors sauté dessus, la renversant et la faisant chuter en contrebas du muret, trois mètres en dessous.

Prise en charge par les pompiers, la victime a été transférée au sein du Centre Hospitalier où ont été mis en évidence un traumatisme crânien et de multiples fractures des vertèbres.

Elle souffre, depuis cet accident, d’une paraplégie des membres inférieurs. 

Son ami a, au mois de juin 2016, déclaré le sinistre à son assureur, la société PACIFICA qui, par courrier en date du 25 novembre 2016, a refusé de prendre en charge le sinistre, au motif que la matérialité des faits ne serait pas établie. 

Par actes en date du 19 avril 2019, la victime a assigné, en responsabilité et indemnisation, devant le Tribunal de Grande Instance de PARIS : 

  • La société PACIFICA, assureur de son ami ; 
  • Le syndicat des copropriétaires de la résidence privée par son syndic ; 
  • L’assureur de ce dernier ; 
  • Les organismes tiers payeurs dont elle dépend ; 

Par jugement en date du 15 décembre 2020, le Tribunal Judiciaire de PARIS a notamment : 

  • Déclaré l’ami de la victime entièrement responsable des dommages causés par son animal, le 9 août 2014 ; 
  • Condamné la société PACIFICA, son assureur, à indemniser intégralement la victime des préjudices qu’elle a subis à la suite de cet accident ; 
  • Débouté la victime de ses demandes à l’encontre du syndicat des copropriétaires et de son assureur ; 
  • Ordonné une mesure d’expertise médicale afin d’évaluer les préjudices de la victime ; 
  • Condamné la société PACIFICA à verser à la victime une provision d’un montant de 30.000 euros à valoir sur l’indemnisation définitive de son préjudice ; 

Par déclaration en date du 14 janvier 2021, la société PACIFICA a interjeté appel de cette décision, soutenant, à titre principal, que seul le syndicat des copropriétaires serait responsable de l’accident et, à titre subsidiaire, que la victime ne rapporterait pas la preuve de la matérialité des faits et que la responsabilité de son ami ne serait pas engagée. 

Or, par arrêt en date du 22 juin 2023 (Cour d’Appel de PARIS, Pôle 4 – Chambre 10, 22 juin 2023, RG n°21/01121), la Cour d’Appel de PARIS a infirmé partiellement le jugement rendu par le Tribunal Judiciaire de PARIS.

La Cour d’Appel de PARIS estime en effet que l’ami de la victime et le syndicat des copropriétaires de la résidence privé sont, tous deux responsables, de l’accident survenu le 9 août 2014. 

S’agissant de l’ami de la victime, la Cour d’Appel de PARIS rappelle que l’article 1385 ancien (devenu 1243) du Code Civil dispose que le propriétaire d’un animal, ou celui qui s’en sert, pendant qu’il est à son usage, est responsable du dommage que l’animal a causé, soit que l’animal fût sous sa garde, soit qu’il fût égaré ou échappé. 

Concernant la garde de l’animal, il n’est contesté d’aucune part que l’ami de la victime soit le propriétaire du chien « TILOU » ou, à tout le moins, le « détenteur » du chien « TILOU » comme cela est renseigné sur la fiche d’identification de l’I-Cad (identification des carnivores domestiques) de l’animal. 

Si, le 9 août 2014, l’ami a confié son chien à la victime ce n’était qu’à titre très temporaire, le temps d’une promenade et à titre bénévole. 

Le propriétaire du chien, qui est celui qui le connaît le mieux, précise que c’était la première fois que son amie sortait seule celui-ci et qu’elle ne connaissait pas ses habitudes, et notamment celle « de monter là où [il s’asseyait] ».

La victime n’avait donc aucun pouvoir d’usage sur l’animal, et n’en avait qu’un pouvoir de contrôle et de direction extrêmement limité, insuffisant pour considérer qu’elle en avait la garde, ainsi que les premiers juges l’ont justement retenu. 

Il n’y a pas eu en l’espèce de transfert de garde du chien et l’ami en est resté l’unique gardien.

Concernant les circonstances de l’accident, il n’est contesté d’aucune part, que la victime, le 9 août 2014, s’est arrêtée sur un muret longeant l’immeuble de la copropriété.

De nombreuses déclarations de parents et amis de la victime sont produites aux débats, évoquant les circonstances de l’accident telles qu’exposées par celle-ci et n’ayant donc pas de valeur probante. 

En revanche, un tiers affirme quant à lui avoir été un témoin direct des faits. 

Dans son attestation du 22 juin 2018, il indique en effet « avoir vue Me [E] [G] tomber du mur derrière la boulangerie du 24 – Cour Lyautey dans la descente des vélos [sic] », ajoutant que « Me [E] a chuté en arrière à cause du chien qui lui a sauté dessus – le 09/08/2014 ». 

Si Monsieur le témoin ne précise pas sa position exacte au moment de l’accident, le seul fait qu’il en ait été le témoin direct, indiquant y « avoir assisté personnellement », révèle qu’il n’était à ce moment pas chez lui, dans un appartement dans la résidence situé de l’autre côté de l’immeuble. 

Il a par ailleurs complété son témoignage par une vidéo, certes prise postérieurement à l’accident, mais montrant sa position à ce moment, et par une seconde attestation du 29 avril 2021, précisant qu’il se trouvait, le 9 août 2014, « à quelques mètres du lieu de la chute de Madame [G] [E] », tombée « à cause du chien de moyenne taille ». 

Il ne peut être reproché aux tiers de ne pas avoir décrit ni identifié le chien qui accompagnait la victime, qu’il pouvait n’avoir jamais vu et ne pas connaître ni être en mesure de décrire avec précision. 

Contrairement à ce que soutient la société Pacifica, le témoignage du tiers, effectivement présent sur les lieux à proximité de la victime lorsque celle-ci a chuté, même succinct, apparaît ainsi suffisant pour établir la matérialité des faits et les circonstances de l’accident. 

La victime s’est vue déséquilibrée par le chien de son ami lorsque celui-ci a cherché à la rejoindre sur le muret sur lequel elle s’était arrêtée, ainsi qu’un témoin présent sur les lieux à ce moment a pu en attester. 

Les premiers juges ont en conséquence à juste titre considéré qu’était rapportée la preuve du rôle actif et causal de l’animal dans la chute de l’intéressée. 

Concernant une éventuelle faute de la victime, la Cour d’Appel de PARIS rappelle que cette dernière pouvait légitimement ignorer que le chien qui l’accompagnait était susceptible de vouloir la rejoindre sur le muret et qu’il puisse la déstabiliser et la faire chuter. 

Aucune faute de sa part ne peut donc être retenue qui viendrait exonérer, totalement ou partiellement, son ami de sa responsabilité, ce d’autant qu’il n’est aucunement établi que celui-ci l’ait prévenue de ce comportement possible du chien. 

Par conséquent, l’ami de la victime est responsable des dommages causés à cette dernière du fait de son chien.

La Cour d’Appel de PARIS confirme donc le jugement en ce qu’il a condamné la société PACIFICA, en sa qualité d’assureur de l’ami, propriétaire et gardien du chien, à indemniser les préjudices subis par la victime.

S’agissant de la responsabilité du syndicat des copropriétaires de la résidence privée, la Cour d’Appel de PARIS rappelle qu’en application de l’article 1384 ancien (devenu 1242) du Code Civil, l’on est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des choses que l’on a sous sa garde. 

Le syndicat des copropriétaires, représentant les copropriétaires de la résidence privée, est le gardien du muret, partie commune, qui longe le bâtiment et sur lequel la victime s’est arrêtée avant de chuter. 

La responsabilité du syndicat, en cette qualité de gardien du muret, chose inerte, ne peut être engagée qu’alors que son rôle causal du fait de sa position anormale, est démontré, à l’origine du dommage subi par la victime. 

L’huissier de justice qui a examiné les lieux indique que le muret en cause est large de 17 centimètres et, à partir du sol longeant le bâtiment, haut de 68 à 84 centimètres, et de 72,5 centimètres à l’endroit où se situait la victime avant sa chute (procès-verbal de constat du 23 mai 2019). 

Le muret apparaît longer et protéger un passage pour piétons, situé en contrebas de celui-ci, menant à l’entrée des caves de l’immeuble. 

Dans ce contexte, le muret litigieux constitue un ouvrage de protection des personnes contre les risques de chute fortuite dans le vide, correspondant à la définition générale des garde-corps de l’article 1.5.1 de la norme NF P 01-012 relative à ceux-ci (éditée par l’association française de normalisation – AFNOR – au mois de juillet 1988, en vigueur). 

Dans son avant-propos, la norme précise que « pour les bâtiments d’habitation, elle complète l’article R111-15 du Code de la Construction et de l’Habitation (CCH) » et que « les règles prescrites (‘) sont des spécifications minimales propres à assurer la protection contre les chutes fortuites ou involontaires ». 

La norme vise les cas où « la hauteur de chute (‘) dépasse un mètre » (article 1.4 relatif aux dispositions générales) et se trouve en l’espèce parfaitement applicable, alors qu’il a pu être constaté que le passage en contrebas du muret litigieux se situe à plus de trois mètres de profondeur (« environ 320 centimètres » à l’emplacement où se trouvait la victime avant sa chute, selon le procès-verbal de constat d’huissier du 23 mai 2019). 

Or cette norme prévoit, pour les « garde-corps minces » (inférieurs à 20 centimètres de large, ainsi que cela est le cas en l’espèce), que leur hauteur minimale doit être d’un mètre (cette hauteur minimale diminuant lorsque le garde-corps est plus épais), hauteur non respectée en l’espèce. 

Est ainsi établi le rôle causal du muret, chose inerte dont l’anormalité par sa hauteur insuffisante, a permis la chute de la victime plus de trois mètres en contrebas. 

Selon la Cour d’Appel de PARIS, c’est ainsi à tort que les premiers juges ont estimé inopérants les développements relatifs à l’anormalité du muret litigieux en l’absence de rôle causal du muret, alors même que ce rôle causal, concernant en l’espèce une chose inerte, réside dans ce caractère anormal, ici retenu au regard de la norme de construction applicable et de la situation dangereuse du muret. 

La Cour d’Appel de PARIS ajoute qu’en application des dispositions de l’article 1382 ancien (devenu 1240) du Code Civil, tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. 

Or en l’espèce, au vu de la configuration des lieux et de la non-conformité du muret aux normes régissant les ouvrages de protection des personnes contre les risques de chute fortuite dans le vide, alors que le muret se situe sur un point de passage menant vers des commerces, la victime reproche légitimement au syndicat des copropriétaires de ne pas avoir signalé le danger par un panneau de mise en garde. 

La responsabilité du syndicat des copropriétaires peut également, et surtout, être retenue pour n’avoir pas envisagé la mise en conformité avec les normes de sécurité du muret protégeant la rampe d’accès aux caves de l’immeuble située trois mètres en contrebas de celui-ci. 

Le muret a désormais été mis en conformité avec les normes de sécurité, mais trop tardivement.

Les copropriétaires de l’immeuble réunis en assemblée générale le 27 janvier 2020 ont décidé de rehausser le muret d’accès aux caves et de poser un grillage rigide « pour raison de sécurité » (résolution nº7 inscrite au procès-verbal). 

Cette résolution a été votée en suite de l’accident et la mise en cause de la responsabilité du syndicat des copropriétaires, sans reconnaissance de celle-ci. 

Concernant une éventuelle faute de la victime, la Cour d’Appel de PARIS précise que le muret litigieux était trop haut et étroit pour apparaître comme un banc ou siège (dont la hauteur standard est de 45 centimètres, ainsi que l’affirme le syndicat des copropriétaires sans être contredit), et la victime ne peut à ce titre affirmer que « la configuration des lieux (‘) [incitait] les passants à s’y asseoir ». 

Alors que le passage en contrebas du muret est étroit, il n’est pas établi qu’il ait été visible au premier regard des passants ni que la direction prise par la victime en direction de ce muret lui ait accordé une bonne visibilité de la situation et du vide. 

En outre, si le muret était trop haut pour se présenter comme un banc ou siège, il était trop bas pour constituer une protection efficace contre les chutes, en méconnaissance de la norme applicable en la matière, et le danger n’était aucunement signalé. 

Il n’est pas prouvé, contrairement aux affirmations en ce sens du syndicat des copropriétaires, que la victime ait dû faire un effort particulier pour « se hisser » sur le mur, ni même qu’elle s’y soit pleinement assise sans garder les pieds au sol, et non seulement appuyée. 

Au vu de cette configuration, quand bien même la victime a pu, juste avant de s’appuyer ou s’asseoir sur le muret litigieux, percevoir le vide situé en contrebas, s’y asseoir simplement, sans mouvement précipité (comportement qui ne lui est prêté d’aucune part) ni effort particulier (non prouvé) ne constitue pas une faute de sa part. 

N’est pas non plus caractérisé, en l’absence de toute signalétique interdisant de s’asseoir sur le muret ou à tout le moins évoquant son danger, un détournement en toute conscience par la victime de l’usage du muret. 

Aucune faute de la victime ou détournement de l’usage du muret, susceptibles d’exonérer totalement ou partiellement le syndicat des copropriétaires de sa responsabilité, ne peuvent en conséquence être retenus. 

Le syndicat des copropriétaires de la résidence est donc également responsable de l’accident. 

Par conséquent, la Cour d’Appel de PARIS infirme le jugement de première instance en ce qu’il a dit que l’ami de la victime est entièrement responsable des dommages causés par son animal, le 9 août 2014 et écarté la responsabilité du syndicat des copropriétaires de la résidence. 

Statuant à nouveau, la Cour d’Appel de PARIS retient, non seulement la responsabilité de l’ami en sa qualité de gardien du chien qui a fait chuter la victime, mais également celle du syndicat des copropriétaires, tant en sa qualité de gardien du muret litigieux duquel la victime est tombée, qu’au titre de sa faute pour n’avoir pas envisagé en temps utile des travaux de mise en conformité de celui-ci. 

Par conséquent, le syndicat des copropriétaires, sous la garantie de son assureur, sera condamné à indemniser la victime de ses préjudices, in solidum avec l’assureur de son ami.  

La Cour d’Appel de PARIS ajoute que, si la société PACIFICA, en sa qualité d’assureur du propriétaire du chien, et le syndicat des copropriétaires, sous la garantie de son assureur, sont tenus in solidum à réparation vis-à-vis de la victime, au titre de leur obligation à la dette, ils ne sont tenus in fine à la dette, au titre de la contribution définitive à celle-ci, qu’à hauteur de leurs parts respectives de responsabilité et disposent donc de recours entre eux, examinés sur le fondement de leur responsabilité civile délictuelle de droit commun. 

Alors que tant l’action du chien que la position anormale et dangereuse du muret ont contribué à la chute de la victime et aux dommages qui s’en sont suivis, le syndicat des copropriétaires et son assureur ne peuvent rechercher la garantie pleine et entière de la société PACIFICA, assureur du propriétaire du chien, et cette dernière ne peut pas plus rechercher la garantie pleine et entière du syndicat et de son assureur. 

Au regard des faits de l’espèce, la Cour d’Appel de PARIS a opéré le partage de responsabilité suivante : 

  • 50% pour le propriétaire du chien et son assureur ; 
  • 50% pour le syndicat des copropriétaires, sous la garantie de son assureur.  

La victime sera donc indemnisée à 100% de ses préjudices à la suite de la chute dont elle a été victime en raison du chien et du muret dont la hauteur était insuffisante.

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