Victimes mineures anesthésiées et suspension du délai de prescription de l’action publique en cas d’infractions à caractère sexuel

Victimes mineures anesthésiées et suspension du délai de prescription de l’action publique en cas d’infractions à caractère sexuel
Publié le 4/12/23

L’analyse de documents, saisis les 2 mai et 11 juillet 2017 au domicile d’un chirurgien, a permis de soupçonner l’existence de centaines d’infractions sexuelles commises par ce dernier à l’occasion de son activité sur des victimes, la plupart mineures et « prémédiquées », anesthésiées ou en phase de surveillance avant leur réveil. 

Une information judiciaire a alors été ouverte et le chirurgien a été mis en examen, le 15 octobre 2020, des chefs de viols et agressions sexuelles aggravés, ces qualifications visant 312 victimes. 

Par requête en date du 12 avril 2021, le chirurgien a soulevé la prescription de l’action publique concernant 85 faits. 

Par ordonnance du 12 mai 2021, le Juge d’Instruction a rejeté cette requête. 

Le chirurgien a interjeté appel de cette décision.

Par arrêt en date du 9 décembre 2022, la Chambre de l’Instruction a confirmé, pour partie, l’ordonnance du Juge d’Instruction.

Pour rejeter partiellement la demande tendant à constater que l’action publique était prescrite, s’agissant des faits commis sur 33 victimes, la Chambre de l’Instruction a notamment considéré que le chirurgien avait admis, lors des interrogatoires devant le Juge d’Instruction, qu’il savait que les victimes ayant subi des actes de nature sexuelle au bloc opératoire, ou dans les moments proches de l’entrée ou de la sortie du bloc opératoire, alors qu’elles étaient « prémédiquées », anesthésiées ou en phase de surveillance avant leur réveil, ne pouvaient en garder aucun souvenir, soit en raison de leur sommeil anesthésique, soit en raison de l’amnésie provoquée par cette médication.

La Chambre de l’Instruction ajoute que le chirurgien agissait, dans ces hypothèses, selon un mode opératoire parfaitement rodé, mis en évidence comme ayant existé depuis de très nombreuses années, sans jamais être découvert, soit après avoir vérifié l’absence de tierce personne au moment de l’acte ou détourné l’attention du personnel soignant, soit lorsque, craignant d’être surpris, il transformait l’attouchement en un geste en apparence médical.

Elle poursuit en rappelant, s’agissant des victimes qui se sont interrogées, après leur hospitalisation, sur des sensations de gêne ou de douleur dans la zone génito-anale, qu’elles ne pouvaient en rattacher l’origine à une agression sexuelle commise par ce chirurgien, lequel agissait dans un contexte et selon un mode opératoire qui lui permettaient de parvenir à une complète dissimulation des faits. 

La Chambre de l’Instruction en conclut, d’une part, qu’il existait une impossibilité d’agir pour les victimes potentielles à la conscience abolie, en sommeil anesthésique, « prémédiquées » ou en phase de réveil, liée à des circonstances irrésistibles qui leur sont parfaitement extérieures, d’autre part, qu’en raison du mode opératoire et des stratagèmes utilisés par le chirurgien entourant la commission des actes et de l’absence de souvenirs des patients en résultant, les autorités compétentes, qui ne pouvaient être mises en mesure de connaître l’existence même des faits, ont été empêchées d’agir pour interrompre la prescription de l’action publique. 

Il existait donc un obstacle insurmontable à l’exercice des poursuites ; le délai de prescription a donc été suspendu jusqu’au 2 mai 2017, date de la découverte des documents et de la révélation des faits. 

Le chirurgien s’est alors pourvu en cassation à l’encontre de cette décision. 

Aux termes de son pourvoi, il allègue notamment que l’absence de souvenirs, trouverait-elle son origine dans le fait que l’infraction aurait été commise sur une victime endormie ou anesthésiée, ne constitue pas un obstacle insurmontable de fait assimilable à la force majeure ayant pu suspendre le délai de prescription. 

Selon lui, la Chambre de l’Instruction aurait donc violé les dispositions de l’article 9-3 du Code de Procédure Pénale.

Or, par arrêt en date du 21 juin 2023 (Cour de cassation, Chambre Criminelle, 21 juin 2023, Pourvoi n°23-80106), la Cour de cassation a rejeté l’argumentation développée par le chirurgien et confirmé l’arrêt rendu par la Chambre de l’Instruction de la Cour d’Appel de RENNES.

Comme le souligne la Cour de cassation, la Chambre de l’Instruction a souverainement constaté, en raison de la situation des victimes et des stratagèmes mis en place par le chirurgien, qu’il existait un obstacle insurmontable à l’exercice des poursuites, ce dont il résultait que le délai de prescription avait été suspendu jusqu’au 2 mai 2017, date de la révélation des faits, pour en déduire à bon droit que la prescription n’était pas acquise. 

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