Célébration excessive d’un but au cours d’une partie de football et responsabilité du joueur

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Publié le 29/08/22

Le 14 juin 2016, une partie de football informelle a été organisée entre plusieurs participants.
Durant cette dernière, un des joueurs a voulu célébrer un but que son coéquipier venait de marquer en le prenant dans ses bras.
Dans la précipitation, il a trébuché sur le marqueur et lui a engendré une rupture du ligament croisé antérieur du genou droit.
Le 19 juin 2017, la victime a assigné son coéquipier, ainsi que son assureur, la MATMUT, afin d’obtenir réparation de son préjudice corporel devant le Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE en application des articles 1240 et 1241 du Code civil.
Par jugement en date du 8 février 2019, la victime a toutefois été déboutée de l’ensemble de ses demandes.
Le Tribunal a en effet considéré que, le dommage ayant été causé à l’occasion d’une pratique sportive, seule une faute d’une certaine gravité ou violant les règles du jeu pouvait engager la responsabilité de son auteur.
En l’espèce, le Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE a estimé que, même s’il avait fait preuve de maladresses et d’inattention en trébuchant sur son coéquipier, aucun élément ne permettait de démontrer que l’auteur avait célébré sa joie de manière excessive, si bien qu’aucune faute sportive ne pouvait donc lui être reprochée.
Par déclaration en date 8 mars 2019, la victime a interjeté appel de cette décision.

Aux termes de ses écritures, il fait valoir que :

  • « L’accident est intervenu lors d’une interruption de la phase de jeu pendant la célébration d’un but et non pas à l’occasion d’un fait de jeu » ;
  • La théorie de l’acceptation des risques dans la mise en jeu de la responsabilité du sportif amateur doit être exclue dans la mesure où ses connaissances sont
    incertaines ;
  • « Une simple faute prouvée permet l’indemnisation puisque dans le sport amateur, la nécessité d’une faute caractérisée pour engager la responsabilité du sportif amateur n’est pas nécessaire. En l’espèce, la partie de football ne revêtait pas les caractéristiques d’une partie ayant fait l’objet d’une préparation ou d’une organisation. Il est constant que l’appréciation de la faute par le juge est fonction de la qualité des sportifs et, en l’espèce, le régime de la responsabilité civile délictuelle de droit commun a vocation à s’appliquer  » ;
  • En l’espèce, l’auteur a commis, selon lui, « une faute d’imprudence à l’origine directe et exclusive des dommages qu’il a causés » ;
  • « Il rappelle que les lois du jeu énoncent que les joueurs sont autorisés à exprimer leur joie lorsqu’un but est marqué mais sans excès, mais l’objet de ce texte n’est pas de sanctionner ou d’avertir un joueur qui blesse un autre joueur de la même équipe lors de la célébration d’un but ».

Or, par arrêt en date du 3 décembre 2020 (Cour d’Appel d’AIX-EN-PROVENCE, Chambre 1-6, 3 décembre
2020, RG n°19/04029), la Cour d’Appel d’AIX-EN-PROVENCE a infirmé le jugement rendu en première instance.
Comme le rappelle l’article 1240 du Code civil :
« Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer »
L’article 1241 dispose, quant à lui, que :
« Chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence »
Pour mémoire, la faute se définit comme la violation d’un devoir ou d’une norme juridiquement obligatoire qui peut être appréciée au regard du non-respect d’un texte ou d’une norme ou, à défaut, au regard d’un idéal abstrait.
Comme le précise la Cour d’Appel d’AIX-EN-PROVENCE :
« Il est constant qu’en matière de pratique sportive, pour être retenue, la faute visée par les articles 1240 et 1241 du Code civil doit être qualifiée, c’est-à-dire qu’il doit être démontré qu’elle est issue d’un comportement contraire aux règles instaurées du jeu.
Bien qu’aucun document ni témoignage n’est produit au débat, les parties en demande et en défense ne contestent pas les circonstances dans lesquelles X… a été blessé, c’est-à-dire à l’occasion d’une partie de football entre amis, alors que le nombre de participants n’est pas précisé, sous la houlette d’aucune organisation associative ou club sportif. Il s’agit donc d’un accident survenu lors d’une partie informelle.
Néanmoins, même dans un cadre informel, les joueurs se doivent d’accepter et de respecter les règles émises par les lois du sport ou de l’activité auxquels ils se livrent et en l’espèce celles du football.
La particularité de litige réside dans l’origine des blessures, puisqu’elles ne résultent pas d’une faute de jeu, ni d’une faute contre le jeu mais de l’expression de joie d’un joueur à l’endroit de l’auteur d’un but, membre de son équipe.
Les arrêts de jeu, quelle qu’en soit l’origine, et tant que le coup de sifflet final n’a pas retenti, font partie intégrante du match, et il en est ainsi du temps consacré à la célébration d’un but.
Les lois du jeu de football émises par la FIFA (Fédération Internationale de Football) prévoient au titre de la loi 12, la célébration du but et il est dit que les joueurs sont
 autorisés à exprimer leur joie lorsqu’un but est marqué, mais sans excès. Les célébrations orchestrées ne doivent pas être encouragées et ne doivent pas entraîner
une perte de temps excessive. Au titre de ces manifestations excessives, cette règle prévoit une sanction par avertissement lorsque le joueur grimpe sur les grilles entourant le terrain, ou s’approche des spectateurs, mettant en péril la sécurité, lorsqu’il fait des gestes provocateurs, moqueurs ou offensants et lorsqu’il couvre sa tête d’un masque ou avec son maillot.
Les situations ainsi envisagées ne recouvrent pas celle du présent litige, si ce n’est que le principe de base consiste pour le joueur, lorsqu’un but est marqué par son équipe, à exprimer sa joie mais sans excès.
En l’espèce le fait, non contesté, que A… a manifesté sa joie, mais par une ardeur intentionnellement intempestive en se jetant dans les bras de X… au point de le faire lourdement chuter et de provoquer une rupture du ligament croisé antérieur du genou, constitue une expression excessive, et donc une faute caractérisée, qui engage la responsabilité de son auteur.

La MATMUT, assureur de A…, est condamnée à indemniser X… de l’intégralité de son préjudice corporel ».
Ainsi, selon la Cour d’Appel d’AIX-EN-PROVENCE, célébrer de façon excessive un but au cours d’une partie de football constitue une faute engageant la responsabilité civile délictuelle du joueur.
La victime, blessée au cours de cette célébration excessive, devra donc être indemnisée de l’ensemble de ses préjudices.

Article rédigé avec la participation de Monsieur Sacha VAUGEOIS, stagiaire en L3 de Droit Privé à l’Université de TOURS.

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