Autonomie de l’appréciation du juge disciplinaire par rapport au juge pénal

Autonomie de l’appréciation du juge disciplinaire par rapport au juge pénal
Publié le 8/12/17

Par décision en date du 24 janvier 2013, la Chambre Disciplinaire de Première Instance d’Aquitaine de l’Ordre des Médecins a prononcé la radiation d’un médecin du tableau de l’ordre au motif qu’il avait délibérément provoqué la mort de plusieurs patients hospitalisés au sein du Centre Hospitalier de BAYONNE.

Par décision en date du 15 avril 2014, la Chambre Disciplinaire Nationale de l’Ordre des Médecins a rejeté l’appel formé par le médecin et décidé que la sanction disciplinaire prendrait effet à compter du 1er juillet 2014.

Par décision en date du 30 décembre 2014, le Conseil d’État a rejeté le pourvoi formé par le médecin à l’encontre de cette décision.

Toutefois, par un arrêt en date du 24 octobre 2015, la Cour d’Assises du MAINE-ET-LOIRE a déclaré le médecin non-coupable de la mort de plusieurs de ses patients.

Ce dernier a alors ressaisi la Chambre Disciplinaire Nationale de l’Ordre des Médecins aux fins de solliciter la révision de sa décision en date du 15 avril 2014 sur le fondement de l’article R.4126-53 du Code de la Santé Publique qui dispose que :

« La révision d’une décision définitive de la chambre disciplinaire de première instance ou de la chambre disciplinaire nationale portant interdiction temporaire d’exercer avec ou sans sursis ou radiation du tableau de l’ordre peut être demandée par le praticien objet de la sanction :

1° S’il a été condamné sur pièces fausses ou sur le témoignage écrit ou oral d’une personne poursuivie et condamnée postérieurement pour faux témoignage contre le praticien ;

2° S’il a été condamné faute d’avoir produit une pièce décisive qui était retenue par la partie adverse ;

3° Si, après le prononcé de la décision, un fait vient à se produire ou à se révéler ou lorsque des pièces, inconnues lors des débats, sont produites, de nature à établir l’innocence de ce praticien ».

L’article R.4126-54 du même code rappelle également que :

« Le recours doit être présenté devant la chambre qui a rendu la décision dont la révision est demandée dans le délai de deux mois à compter du jour où le praticien a eu connaissance de la cause de révision qu’il invoque, dans les mêmes formes que celles dans lesquelles devait être introduite la requête initiale.

Ce recours n’a pas d’effet suspensif.

Lorsque le recours en révision est recevable, la chambre déclare la décision attaquée nulle et non avenue et statue à nouveau sur la requête initiale.

Les dispositions des sections 4, 5, 6 et 7 du présent chapitre sont applicables.

Les décisions statuant sur le recours en révision ne sont pas susceptibles d’opposition.

Elles peuvent faire l’objet d’un recours en cassation devant le Conseil d’État.

Lorsqu’il a été statué sur un premier recours en révision, un second recours contre la même décision n’est pas recevable ».

Par décision en date du 17 juin 2016, la Chambre Disciplinaire Nationale de l’Ordre des Médecins a déclaré nulle et non avenue sa décision du 15 avril 2014, puis, statuant à nouveau, a rejeté l’appel du médecin et fixé au 1er juillet 2014 la date de l’exécution de sa sanction.

Le médecin s’est alors pourvu en cassation à l’encontre de cette décision devant le Conseil d’État.

Or, par arrêt en date du 11 octobre 2017 (Conseil d’État, 4ème et 5ème Chambres Réunies, 11 octobre 2017, N° 402497), le Conseil d’État a rejeté le pourvoi formé par le médecin.

Comme le rappelle le Conseil d’État :

« si les faits constatés par le juge pénal et qui commandent nécessairement le dispositif d’un jugement ayant acquis force de chose jugée s’imposent à l’administration comme au juge disciplinaire, la même autorité ne saurait s’attacher aux motifs d’un jugement d’acquittement tirés de ce que les faits reprochés ne sont pas établis ou qu’un doute subsiste sur leur réalité ; qu’il appartient, dans ce cas, au juge disciplinaire d’apprécier si les faits, qui peuvent, d’ailleurs, être différents de ceux qu’avait connu le juge pénal sont suffisamment établis et, dans l’affirmative, s’ils justifient l’application d’une sanction ».

Ainsi, en cas de jugement d’acquittement rendu par le juge pénal, le juge disciplinaire dispose d’une autonomie d’appréciation.

L’absence de condamnation pénale ne doit pas entraîner ipso facto une absence de sanction disciplinaire.

Il appartient au juge disciplinaire d’apprécier si les faits qui ont entraîné un acquittement du médecin peuvent justifier une sanction disciplinaire à l’encontre de celui-ci.

Pour ce faire, le juge disciplinaire doit asseoir sa conviction sur l’ensemble des éléments et pièces du dossier.

Or, en l’espèce, le médecin mis en cause ne contestait pas, y compris dans le cadre de sa demande de révision, avoir volontairement injecté à une patiente une ampoule de Norcuron©, produit contenant du curare et qui ne doit normalement être administré que sous le contrôle d’un médecin anesthésiste réanimateur avec une assistance respiratoire.

Au regard des pièces du dossier, il apparaît que le médecin mis en cause avait donc volontairement provoqué la mort de cette patiente quand bien même il aurait entendu soulager la souffrance de cette dernière.

Le médecin a donc méconnu les dispositions de l’article R.4127-38 du Code de la Santé Publique qui dispose que :

« Le médecin doit accompagner le mourant jusqu’à ses derniers moments, assurer par des soins et mesures appropriés la qualité d’une vie qui prend fin, sauvegarder la dignité du malade et réconforter son entourage.

Il n’a pas le droit de provoquer délibérément la mort ».

En donnant délibérément la mort à l’une de ses patientes, ce médecin a commis une faute déontologique de nature à justifier une sanction disciplinaire.

Par conséquent, selon le Conseil d’État la Chambre Disciplinaire Nationale de l’Ordre des Médecins n’a commis aucune erreur de droit et aucune erreur manifeste d’appréciation en prononçant la radiation du médecin mis en cause.

Toujours selon le Conseil d’État, cette sanction n’est pas disproportionnée par rapport aux fautes reprochées.

Ainsi, le juge disciplinaire dispose d’une autonomie d’appréciation par rapport au juge pénal sur les faits reprochés au médecin.

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