Responsabilité de l’Etat en cas d’infraction pénale commise sur un élève mineur au cours d’une sortie scolaire

Publié le 13/11/23

Le 8 mars 2017, une sortie scolaire a été organisée par une école élémentaire, l’encadrement étant assuré par deux institutrices, une ATSEM (Agent Territorial Spécialisé des Ecoles Maternelles) et deux parents d’élèves. 

A l’issue du trajet de retour, un élève, âgé de 3 ans et demi, a été retrouvé inanimé dans le car scolaire.

L’enfant a été hospitalisé en urgence au sein d’un centre hospitalier, puis transféré au sein d’un centre de rééducation fonctionnelle jusqu’au 24 mai 2017, date à laquelle il a rejoint le domicile familial.

A la suite des opérations d’expertise médico-légales, il est apparu que l’enfant avait été victime d’une strangulation ayant pu être occasionnée par une ficelle, une corde ou encore le col d’un tee-shirt ou d’un pull.

L’enquête s’est orientée vers la mise en cause de deux enfants assis derrière la victime.

Le 11 août 2017, à l’issue de l’enquête préliminaire et au regard de l’irresponsabilité pénale de ces deux enfants en raison de leur âge, ainsi que de l’impossibilité de déterminer la chronologie et le rôle précis de chacun, la procédure a fait l’objet d’une décision de classement sans suite par le Procureur de la République de BELFORT.

Le 20 avril 2018, les parents de la jeune victime, agissant en leur nom personnel ainsi qu’en leur qualité de représentants légaux, ont saisi le Président de la Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infractions (la CIVI) du Tribunal Judiciaire de BELFORT afin d’obtenir le versement d’une provision et la mise en œuvre d’une expertise médicale.

Par décision du 8 janvier 2019, la CIVI a fait droit à la demande d’expertise.

L’Expert a déposé son pré-rapport le 12 février 2020, devenu définitif en l’absence d’observation des parties.

Aux termes de son rapport, il précise que la strangulation a provoqué chez la victime une anoxie cérébrale ayant entraîné des troubles du langage, des troubles psychomoteurs ainsi qu’un stress post-traumatique. 

Par requête en date du 28 février 2020, les parents ont saisi la CIVI d’une demande de provision de 40.000 euros concernant les préjudices de leur enfant et de 2.500 euros chacun pour les préjudices propres. Le Fonds de Garantie des Victimes d’Actes de Terrorisme et d’autres Infractions (le FGTI) a accédé à ces demandes, l’accord ayant été constaté par décision du 9 juin 2020. 

Par exploits en date du 17 mars 2020, le FGTI a fait assigner, devant le Tribunal Judiciaire de BELFORT, le Préfet du Territoire de Belfort, pris en sa qualité de représentant de l’Etat, les parents de la victime, la Caisse Primaire d’Assurance Maladie et la société MAAF Assurances aux fins de voir engager la responsabilité de l’Etat pour le défaut de surveillance commis par les membres de l’enseignement présents dans le car scolaire et de remboursement des sommes accordées à titre provisionnel aux parents de la victime.

L’Académie concernée ainsi que la MAAF Santé sont intervenues volontairement à l’instance.

Aux termes de ses écritures, le FGTI fait valoir, sur le fondement des articles L.911-4 du Code de l’Education et 1242 alinéa 6 du Code Civil, que l’Etat était responsable du dommage subi par la victime du fait d’un défaut de surveillance des encadrants, tant au moment de la strangulation, qui n’avait pas été remarquée, que dans les moments qui avaient suivis, l’enfant n’ayant été découvert inanimé qu’à l’issue du trajet, qui avait duré une vingtaine de minutes, alors pourtant que la présence d’au moins un enfant considéré comme « remuant » aurait dû inciter à une surveillance renforcée. Il ajoute que la responsabilité de l’Etat pouvait être engagée quand bien même l’enquête n’aurait pas permis de démontrer l’existence d’une faute pénale.

Aux termes de ses conclusions, l’Académie contestait toute responsabilité, en indiquant que le FGTI ne démontrait aucune faute imputable à un membre déterminé de l’équipe d’enseignement, alors que l’enquête pénale avait conclu à l’absence de faute, et que l’absence de chahut et la petite taille des enfants, cachés par les sièges, avaient mis les encadrants dans l’impossibilité de déceler la strangulation. 

Par jugement en date du 14 octobre 2021, le Tribunal Judiciaire de BELFORT a retenu la responsabilité de l’Etat et condamné l’Académie à verser au FGTI ainsi qu’aux tiers payeurs différentes sommes d’argent. 

Par déclaration en date du 21 décembre 2021, l’Académie a interjeté appel de la décision précitée. 

Cependant, par arrêt en date du 1er août 2023 (Cour d’Appel de BESANCON, 1ère Chambre, 1er août 2023, RG n°21/02235), la Cour d’Appel de BESANCON a confirmé le jugement du Tribunal Judiciaire de BELFORT.

Comme le rappelle la Cour d’Appel de BESANCON, l’article L.911-4 du Code de l’Education dispose que dans tous les cas où la responsabilité des membres de l’enseignement public se trouve engagée à la suite ou à l’occasion d’un fait dommageable commis, soit par les élèves ou les étudiants qui leur sont confiés à raison de leurs fonctions, soit au détriment de ces élèves ou de ces étudiants dans les mêmes conditions, la responsabilité de l’Etat est substituée à celle desdits membres de l’enseignement qui ne peuvent jamais être mis en cause devant les tribunaux civils par la victime ou ses représentants. 

Il en est ainsi toutes les fois que, pendant la scolarité ou en dehors de la scolarité, dans un but d’enseignement ou d’éducation physique, non interdit par les règlements, les élèves et les étudiants confiés ainsi aux membres de l’enseignement public se trouvent sous la surveillance de ces derniers.

L’action récursoire peut être exercée par l’Etat soit contre le membre de l’enseignement public, soit contre les tiers, conformément au droit commun.

Dans l’action principale, les membres de l’enseignement public contre lesquels l’Etat pourrait éventuellement exercer l’action récursoire ne peuvent être entendus comme témoins.

L’action en responsabilité exercée par la victime, ses parents ou ses ayants droit, intentée contre l’Etat, ainsi responsable du dommage, est portée devant le Tribunal de l’ordre judiciaire du lieu où le dommage a été causé et dirigée contre l’autorité académique compétente.

La prescription en ce qui concerne la réparation des dommages prévus par le présent article est acquise par trois années à partir du jour où le fait dommageable a été commis.

L’article 1242 du Code Civil énonce quant à lui que l’on est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait de personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde.

Il sera rappelé que l’encadrement du voyage scolaire au cours duquel les faits dramatiques sont survenus était assuré par trois membres de l’enseignement public et deux parents d’élèves, et que seules les fautes caractérisées imputables aux trois membres de l’enseignement public sont susceptibles d’engager la responsabilité de l’Etat.

Dès lors que le voyage litigieux, consistant en une sortie à la patinoire, prenait place dans le cadre de l’activité scolaire et dans le temps de celle-ci, la responsabilité de son organisation et de la mise en œuvre des moyens assurant la sécurité des enfants incombait incontestablement aux seuls membres de l’enseignement public, et non aux parents d’élèves, qui n’assuraient qu’un rôle d’accompagnement complémentaire. Plus précisément, au sein de l’équipe constituée par les trois membres de l’enseignement public, cette responsabilité dans l’organisation appartenait aux deux institutrices en charge des classes transportées, et non à l’ATSEM, dont il sera rappelé qu’elle n’est investie que d’une mission d’assistance aux enseignants.

Il appartenait en conséquence aux intéressées de veiller à la mise en place concrète, durant le trajet en autocar, de mesures permettant une surveillance effective et permanente des enfants, et, en leurs qualités de responsables, de s’assurer personnellement de leur efficience. Dans la mesure où, comme le souligne l’Académie elle-même, la petite taille des passagers et la hauteur des sièges interdisaient que les enfants puissent être conservés de manière constante et simultanée sous le regard des encadrants, les responsables se devaient de ne pas cantonner leur action à l’affectation des encadrants à des postes de surveillance fixes, dont chacun disposait nécessairement d’un angle de vue limité, mais de varier ces postes en cours de trajet, et de compléter la surveillance par des allers et retours à intervalles réguliers le long du couloir de l’autocar, ce qui ne se heurtait à aucune impossibilité technique ni matérielle, et aurait permis de garder un contact visuel avec chacun des enfants transportés. Une telle adaptation des mesures de surveillance était en l’espèce d’autant plus nécessaire que les passagers étaient extrêmement jeunes, que la durée du trajet, soit une vingtaine de minutes, était relativement longue, et qu’il est constant que l’un des enfants, savoir celui soupçonné d’être à l’origine de la strangulation de la victime, était identifié comme « remuant », sans qu’il soit établi, ni même simplement soutenu qu’il ait fait l’objet de la part de son institutrice, qui ne pouvait ignorer cet état de fait, d’une attention particulière. 

Il n’est pas contestable que les deux institutrices n’ont pas concrètement mis en œuvre les mesures de surveillance dont, en leurs qualités de responsables du voyages, elles devaient personnellement assurer la mise en place et le suivi, puisque le drame dont a été victime le jeune élève n’a été détecté ni au moment de sa survenue, laquelle n’avait pas été instantanée, mais s’était nécessairement prolongée sur une certaine durée, s’agissant d’un acte de strangulation, ni au cours de la suite du voyage, dans la mesure où ce n’est qu’à la descente du car que les faits ont été découverts. Or, des mesures de surveillance adaptées consistant à avoir un contact visuel régulier avec chacun des enfants auraient nécessairement permis, sinon d’intervenir au stade même de la strangulation, à tout le moins de constater rapidement sa survenance, qui ne pouvait échapper à un simple examen visuel, dès lors que l’enfant était inanimé et que son visage était cyanosé, ce qui aurait permis une administration anticipée des premiers secours.

En manquant toutes deux à l’obligation leur incombant personnellement d’assurer au cours du trajet la surveillance effective des enfants, les deux institutrices ont chacune commis une faute de nature à engager, par application des textes précités, la responsabilité de l’Etat, représenté par l’Académie.

Le jugement du Tribunal Judiciaire de BELFORT en date du 14 octobre 2021 est donc confirmé s’agissant des condamnations prononcées au profit du FGTI et de la compagnie MAAF Assurances, étant observé que les sommes allouées, au demeurant justifiées au regard des pièces produites, ne sont en elles-mêmes par critiquées par l’appelant. 

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