L’obligation de surveillance des médecins traitants

Publié le 4/11/16

Dans un arrêt en date du 6 avril 2016 (Cour de cassation, Civile 1ère, 6 avril 2016, Pourvoi n°15-14253), la Cour de cassation a considéré que l’absence de prise en compte, par un médecin traitant, des résultats d’un examen pratiqué par son patient, dans un centre de santé, constituait un manquement à son devoir de surveillance. 

En l’espèce, un patient s’est rendu, au cours de l’année 2002, dans un centre de santé de la caisse primaire d’assurance maladie afin de réaliser un examen médical.

Les résultats de cet examen, transmis au médecin traitant, mettaient en évidence des difficultés de miction ainsi qu’une prostate légèrement augmentée au toucher rectal.

C’est dans ce contexte que, cinq ans plus tard, le patient s’est vu diagnostiquer un cancer de la prostate.

Estimant qu’il était responsable d’un retard de diagnostic de son cancer ainsi que d’un défaut de diligence à la suite de la réception des résultats de l’examen médical pratiqué en 2002, le patient a alors assigné en justice son médecin traitant ainsi que l’assureur « responsabilité civile » de ce dernier afin de voir engager leur responsabilité et d’être indemnisé de l’ensemble de ses préjudices.

Débouté de ses demandes indemnitaires en première instance et en appel, le patient s’est alors pourvu en cassation.

Dans son arrêt en date du 6 avril 2016, la Cour de cassation a alors considéré que le médecin traitant avait pour obligation, compte tenu des résultats médicaux de son patient en 2002 mentionnant des signes cliniques susceptibles d’évoluer vers un cancer de la prostate, de surveiller l’évolution de son état de santé et ce, indépendamment des éventuelles doléances de ce dernier.

L’obligation personnelle de surveillance du médecin traitant 

Aux termes de l’article L.1142-1 du Code de la Santé Publique, la responsabilité d’un professionnel de santé ne peut, sauf exception, être recherchée qu’en cas de faute de celui-ci.

Il incombe donc au patient de rapporter la preuve que son médecin traitant a commis une faute dans le cadre de sa prise en charge médicale. 

Il peut aussi bien s’agir d’une faute technique du praticien lors de la réalisation d’un acte médical que d’une erreur ou d’un retard de diagnostic, d’une négligence, d’une imprudence ou d’un manquement du praticien à son obligation d’information.

En l’espèce, l’arrêt rendu par la Cour de cassation, le 6 avril 2016, vise expressément l’article R. 4127-32 du Code de la Santé Publique.

Cet article dispose que : 

« Dès lors qu’il a accepté de répondre à une demande, le médecin s’engage à assurer personnellement au patient des soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science, en faisant appel, s’il y a lieu à l’aide de tiers compétents. » 

À la lecture de cet article, il apparaît que les médecins traitants, comme tous les professionnels de santé, sont tenus d’assurer personnellement leur obligation de surveillance de l’évolution de l’état de santé de leurs patients.

S’ils peuvent bien évidemment solliciter l’aide de tiers compétents, comme des centres d’analyses médicales ou des médecins spécialistes, les professionnels de santé ne peuvent, en revanche, pas se décharger de leur obligation sur un tiers. 

En l’espèce, le médecin traitant était tenu d’interpréter les résultats du centre de santé de la caisse primaire d’assurance maladie et de prescrire, le cas échéant, d’éventuels examens médicaux complémentaires afin d’affiner le diagnostic ou d’assurer une surveillance postérieure de l’état de santé de son patient.

En effet, comme le souligne la Cour de cassation, les résultats de l’examen pratiqué en 2002 au sein du centre de santé mettaient en évidence des signes cliniques susceptibles d’évoluer vers un cancer de la prostate. 

L’attention du médecin traitant aurait donc dû être attirée en raison de ces signes cliniques. 

Par ailleurs, la Cour de cassation précise que le professionnel de santé est tenu de remplir son obligation de surveillance peu importe l’éventuelle absence de doléances de son patient et ce, dès lors que les résultats médicaux auraient dû attirer son attention.

Aussi, en l’absence de respect de son obligation de surveillance, la responsabilité du médecin traitant pourra être recherchée. 

L’obligation continue de surveillance du médecin traitant

De plus, l’arrêt rendu le 6 avril 2016 par la Cour de cassation vise expressément l’article R.4127-33 du Code de la Santé Publique.

Cet article précise que : 

« Le médecin doit toujours élaborer son diagnostic avec le plus grand soin, en y consacrant le temps nécessaire, en s’aidant dans la mesure du possible des méthodes scientifiques les mieux adaptées et, s’il y a lieu, de concours appropriés. » 

À la lecture de ce texte, il apparaît que l’obligation de surveillance des médecins traitants est une obligation continue.

En effet, comme le souligne la Cour de cassation dans son arrêt, le patient a été suivi par le même praticien entre l’année 2002 (date de réalisation des examens mettant en évidence des signes cliniques susceptibles d’évoluer vers un cancer de la prostate) et l’année 2007 (date de découverte effective de son cancer).

Or, pendant toutes ces années, le médecin traitant n’a, semble-t-il, pas estimé opportun de prescrire des examens complémentaires ultérieurs alors même que dès 2002 son attention avait été attirée sur les risques d’apparition d’un cancer de la prostate chez son patient.

Selon la Cour de cassation, le médecin traitant aurait dû tenir compte des éléments dont il avait connaissance pour prescrire, au besoin, des examens ou des investigations supplémentaires.

Pour ce faire, l’article R.4127-33 du Code de la Santé Publique prévoit que le médecin traitant doit s’aider « dans la mesure du possible des méthodes scientifiques les mieux adaptées et, s’il y a lieu, de concours appropriés ». 

En l’espèce, il existait bien des examens complémentaires permettant de diagnostiquer en temps utile l’apparition du cancer de la prostate chez le patient et de le prendre en charge médicalement dans les meilleurs délais. 

Aussi, dès lors que le médecin traitant n’a pas assuré un suivi régulier de l’évolution de l’état de santé de son patient alors même qu’il était informé des risques d’apparition d’un cancer de la prostate, il a manqué à son obligation de surveillance et sa responsabilité pourra être recherché sur le fondement de l’article L.1142-1 du Code de la Santé Publique. 

Cet article a été rédigé par Me Geoffrey Tondu, avocat à Bourges.

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