L’ergothérapeute et l’indemnisation du dommage corporel

L’ergothérapeute et l’indemnisation du dommage corporel
Publié le 1/03/18

Les victimes de dommages corporels peuvent, à la suite de leur accident (accident de la circulation, erreur médicale, accident du travail, accident de la vie courante, agression…), conserver un handicap, qu’il soit fonctionnel (paraplégie, tétraplégie…) ou cognitif (personnes cérébrolésées…).

L’article L.114 du Code de l’Action Sociale et des Familles définit le handicap comme :

« toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant ».

L’article L.114-1-1 du même code rappelle que :

« La personne handicapée a droit à la compensation des conséquences de son handicap quelles que soient l’origine et la nature de sa déficience, son âge ou son mode de vie ».

Pour évaluer précisément la situation de handicap de ces victimes et indemniser intégralement leurs préjudices, l’assistance d’un ergothérapeute s’avère très souvent indispensable.

Les missions de l’ergothérapeute en matière d’évaluation du handicap

L’ergothérapie est une profession réglementée, régie par les articles L.4331-1 et R.4331-1 du Code de la Santé Publique. Il s’agit d’une profession paramédicale dans le domaine de la rééducation, de la réadaptation et de la réhabilitation, sanctionnée par un Diplôme d’État après trois années de formation théorique et pratique, fixée par le Ministère en charge de la Santé. L’ergothérapie fonde son activité sur le lien entre l’activité humaine et la santé.

L’objectif de l’ergothérapie est de maintenir, restaurer et permettre les activités humaines de manière sécurisée, autonome et efficace.

Elle doit permettre de réduire, voire de supprimer, les situations de handicap en tenant compte des habitudes de vie des personnes, de leur environnement et en leur proposant des moyens de compensation.

Très souvent, au moment de leur retour à domicile, les victimes de dommages corporels, en situation de handicap, ne sont plus en mesure d’effectuer seules les actes du quotidien qu’elles réalisaient pourtant avant l’accident.

Il est donc nécessaire de mettre à leur disposition l’ensemble des aides techniques et/ou humaines permettant de compenser leur handicap et de reprendre une vie la plus normale possible.

Pour ce faire, l’ergothérapeute procédera, avec la victime, à un bilan situationnel afin d’évaluer les restrictions de participation, les déficiences et les incapacités de celle-ci au regard de son mode de vie.

Ce bilan situationnel se compose traditionnellement :

  • Du recueil d’informations préalables (éléments remis par la victime, dossier médical…) ;
  • D’une entrevue avec la victime afin de déterminer son projet de vie ; 
  • D’une mise en situation concrète de la victime afin d’évaluer les impossibilités ou les difficultés dans la réalisation des actes de la vie quotidienne ;
  • De la recherche, pour chacune des difficultés, de moyens de compensation adéquats et correspondant aux souhaits de la victime ;
  • De la définition, avec la victime d’un projet de vie pertinent ;

Ce bilan situationnel doit bien évidemment s’effectuer au domicile de la victime.

Néanmoins, cette évaluation « in situe » doit également être réalisée dans les différents lieux de vie fréquentée par la victime (résidence secondaire, lieu de travail, domiciles des proches, activités de loisirs, transports…).

Le bilan situationnel doit en effet permettre d’évaluer la personne en activité, dans son environnement.

Par ailleurs, il est nécessairement réalisé en collaboration avec la victime et son entourage qu’il s’agisse de ses proches, de son équipe médicale et paramédicale, notamment le Centre de Rééducation Fonctionnelle, de son milieu professionnel…

De plus, pour être le plus pertinent possible, ce bilan situationnel doit décrire, dans le détail, la façon dont la victime procède, du matin au soir pour effectuer l’ensemble des actes de la vie quotidienne (se réveiller, se lever, se laver, s’habiller, déjeuner, se rendre à son travail, faire ses courses, le ménage, effectuer ses transferts, aller aux toilettes, effectuer ses activités administratives…).

En effet, cette évaluation doit permettre de définir précisément les capacités résiduelles, les séquelles et la situation de handicap de la victime afin de lui proposer des moyens de compensation efficaces.

Pour ce faire, l’ergothérapeute tiendra compte des facteurs psychosociaux et environnementaux facilitateurs et ceux qui limitent la capacité d’agir de la personne.

Suivant, d’une part le degré d’autonomie et d’indépendance de la victime et, d’autre part les souhaits de cette dernière, différents types de moyens de compensation pourront être mis en place par l’ergothérapeute :

  • Les aides techniques (adaptation du logement, adaptation du véhicule…) ;
  • Les aides technologiques (domotique, vidéosurveillance…) ;
  • Les aides animalières ;
  • Les aides humaines (assistance par une ou plusieurs tierces personnes).

Ces moyens de compensation ont pour objectif de :

  • Prévenir les risques et assurer la sécurité de la personne en situation de handicap ainsi que celle de ses proches ;
  • Assurer l’accessibilité de lieux de vie de la victime et compenser sa perte d’autonomie ;
  • Contribuer à restaurer sa dignité et sa liberté ;
  • Restaurer, dans la mesure du possible, la qualité de vie de la victime au regard de son projet de vie et rétablir sa participation sociale.

Ce bilan situationnel et écologique est particulièrement recommandé pour les victimes d’un traumatisme crânien.

En effet, ces dernières peuvent parfois être atteintes d’un handicap invisible, les victimes n’ayant pas nécessairement conscience de leurs troubles (anosognosie).

Le bilan ergothérapique, qui se déroule souvent sur plusieurs heures et parfois sur plusieurs jours, sera ainsi l’occasion de mettre en évidence des troubles qui n’auraient pas été diagnostiqués au cours d’expertises médicales qui sont souvent beaucoup moins longues et ne se tiennent pas nécessairement au domicile de la victime et dans son environnement quotidien.

Les modalités d’intervention de l’ergothérapeute en matière de réparation juridique du dommage corporel

En matière de réparation juridique du dommage corporel, l’ergothérapeute peut intervenir à plusieurs titres :

  • Soit en qualité d’Expert qu’il soit judiciaire ou amiable ;
  • Soit en qualité de Sapiteur ;
  • Soit en qualité d’assistant technique d’un avocat de victime ou de compagnie d’assurance.

Quel que soit son mode d’intervention, l’ergothérapeute aura, dans tous les cas, pour mission d’une part d’évaluer la situation de handicap de la victime ainsi que ses capacités résiduelles et, d’autre part de définir les aides nécessaires pour compenser ce handicap.

L’ergothérapeute devra procéder à la rédaction d’un rapport d’évaluation (qu’il s’agisse d’un rapport d’expertise judiciaire, d’un rapport sapiteur ou d’un rapport d’évaluation remis à l’avocat) décrivant aussi précisément que possible les besoins de la victime ainsi que les moyens de compensation envisagés, au besoin en annexant des devis descriptifs et estimatifs.

Ce rapport d’évaluation permettra de déterminer les besoins de la victime au regard des différents postes de préjudices, définis par la nomenclature Dintilhac (frais divers, dépenses de santé actuelles, dépenses de santé futures, frais de logement adapté, frais de véhicule adapté, assistance par une tierce personne, préjudice scolaire, universitaire ou de formation, préjudice d’agrément, pertes de gains professionnels, incidence professionnelle, préjudice d’établissement…).

L’ergothérapeute devra préciser si les moyens de compensation envisagés sont provisoires ou permanents et tenir compte de la situation de la victime, notamment si sont état de santé est consolidé ou non.

Pour être pertinent, ce rapport d’évaluation devra être le plus descriptif et le plus argumenté possible quant :

  • au choix des moyens de compensation (aides techniques, aides technologiques, aides animalières, aides humaines) ;
  •  au matériel préconisé ;
  • aux périodes de renouvellement…

L’avis technique de l’ergothérapeute permettra ainsi d’aider le médecin-conseil, l’Expert et les avocats dans leur réflexion relative à l’évaluation des différents postes de préjudice de la victime.

Si la situation le justifie, une évaluation pluridisciplinaire de la situation de handicap de la victime pourra intervenir en présence de l’équipe médicale, du kinésithérapeute, d’un architecte, d’un neuropsychiatre…

En tout état de cause, le rapport d’évaluation établi par l’ergothérapeute permettra d’assurer la réparation intégrale des préjudices subis par la victime et de compenser au mieux son handicap afin que celle-ci puisse, autant que faire se peut, reprendre une vie la plus normale possible à la suite de son accident.

Cet article a été rédigé par Me Geoffrey Tondu, avocat à Bourges.

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