Défaut d’assurance d’un praticien libéral pour les actes chirurgicaux et responsabilité de la clinique

Défaut d’assurance d’un praticien libéral pour les actes chirurgicaux et responsabilité de la clinique
Publié le 9/04/18

Le 6 février 2010, une jeune femme, âgée de 17 ans au moment des faits, a consulté son médecin gynécologue pour une inflammation de la grande lèvre droite.

Son traitement antibiotique s’avérant inefficace et son état de santé s’aggravant, le médecin gynécologue a orienté la patiente vers le Service des Urgences de la Clinique du MONT-LOUIS pour « abcès compliqué de la zone pelvienne ».

Reçue, le 8 février 2010, par le médecin des Urgences, la patiente a été opérée, le jour-même au sein de la Clinique du MONT-LOUIS.

Le lendemain, la patiente a été autorisée à quitter la clinique et à rentrer à son domicile.

Toutefois, les suites de l’intervention chirurgicale ont été marquées par des douleurs importantes et par une gêne à uriner.

Se plaignant de cette opération et de la découverte de ce que le chirurgien avait procédé à l’ablation totale de la grande lèvre droite nécessitant une chirurgie réparatrice, la patiente a sollicité, en référé, la désignation d’un Expert Judiciaire.

Par ordonnance de référé en date du 4 janvier 2011, le Juge des Référés a fait droit à cette demande.

A la suite de différents reports, notamment liés à la réalisation de l’intervention de chirurgie réparatrice et au retour de la patiente en Amérique Latine, son pays d’origine, l’Expert Judiciaire a déposé son rapport définitif le 14 mars 2014.

Par exploits d’Huissiers de Justice en date des 14, 19 et 29 janvier 2015, la patiente a assigné, devant le Tribunal de Grande Instance de PARIS, le chirurgien du Service des Urgences, son assureur et la Clinique du MONT-LOUIS aux fins de solliciter leur condamnation solidaire à l’indemniser de ses différents préjudices.

Par jugement en date du 13 juin 2016 (Tribunal de Grande Instance de PARIS, 13 juin 2016, RG n°15/01620), le Tribunal de Grande Instance de PARIS a constaté la faute commise par le chirurgien libéral exerçant au sein de la clinique et condamné ce dernier à indemniser la patiente de ces différents préjudices.

En revanche, le Tribunal de Grande Instance de PARIS a débouté la patiente de ses demandes à l’encontre de la clinique et mis hors de cause l’assureur du chirurgien.

La patiente a alors interjeté appel de cette décision.

Aux termes de ses conclusions d’appelante, la patiente sollicitait la condamnation solidaire du chirurgien libéral et de la clinique à l’indemniser de ses différents préjudices qu’elle évalue à la somme totale de 54.135 euros.

Pour ce faire, la patiente faisait valoir que l’indemnisation de son préjudice a été largement sous-estimée et que la clinique doit voir sa responsabilité engagée dans la mesure où elle n’avait pas satisfait à ses obligations relatives à l’organisation et au bon fonctionnement de l’établissement.

En effet, après recherches, il apparaissait que le chirurgien libéral exerçant au sein de la clinique n’était assuré que pour la spécialité de médecine libérale et non pas les actes chirurgicaux.

Or, la patiente reprochait à la clinique de ne pas avoir vérifié que le chirurgien exerçant en son sein était bien couvert pour tous les actes qu’il était amené à y accomplir.

Aux termes de ses conclusions d’intimé, le chirurgien libéral contestait toute responsabilité de sa part et sollicitait, à titre subsidiaire, l’organisation d’une contre-expertise judiciaire.

Enfin, la Clinique du MONT-LOUIS soutenait qu’il ne pouvait lui être reproché de ne pas avoir vérifié que les conditions contractuelles de son chirurgien aient permises au praticien de satisfaire à son obligation légale personnelle d’assurance.

Par arrêt en date du 15 février 2018 (Cour d’Appel de PARIS, Pôle 2 – Chambre 2, 15 février 2018, RG n°16/14215), la Cour d’Appel de PARIS a confirmé le jugement rendu, en première instance, par le Tribunal de Grande Instance de PARIS.

En effet, s’agissant de la responsabilité du chirurgien libéral, la Cour d’Appel de PARIS rappelle qu’en application des dispositions de l’article R.4127-32 du Code de la Santé Publique, le médecin, dès lors qu’il a accepté de répondre à une demande de son patient, s’engage à lui assurer personnellement des soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science, en faisant appel, s’il y a lieu, à l’aide de tiers compétents.

La Cour ajoute que tout manquement à cette obligation qui n’est que de moyens, n’engage la responsabilité du praticien que s’il en résulte pour le patient un préjudice en relation de causalité directe et certaine. Cette obligation s’étend à l’établissement du diagnostic, préalable indispensable à la mise en œuvre des soins.

La Cour expose que le médecin est tenu d’être irréprochable dans ses gestes techniques et doit limiter les atteintes qu’il porte au patient à celles qui sont nécessaires à l’opération. En conséquence, dès lors que la réalisation de l’intervention chirurgicale n’impliquait pas la lésion constatée et qu’il n’est pas démontré que la complication survenue résulte d’une anomalie anatomique rendant l’atteinte d’un organe ou d’un tissu inévitable, la faute du chirurgien ne peut être exclue.

En l’espèce, la Cour considère que le chirurgien a agi de façon non conforme aux données acquises de la science à l’époque des faits dès lors que son geste d’ablation totale de la grande lèvre droite n’était pas justifié et son choix opératoire inapproprié.

Par conséquent, la Cour d’Appel de PARIS confirme le jugement rendu en première instance en ce qu’il a retenu que le diagnostic d’abcès vulvaire en rapport avec une bartholinite aigüe abcédée, diagnostic confirmé par l’examen anatomopathologique, était bien à l’origine du geste chirurgical et supposait un geste chirurgical limité englobant au besoin l’orifice fistuleux mais en aucun cas l’exérèse large pratiquée.

Le geste pratiqué par le chirurgien n’était pas indiqué, excessif car inadapté au cas clinique de la patiente.

Dès lors, le chirurgien a engagé sa responsabilité civile et sera tenu d’indemniser sa patiente.

S’agissant de la responsabilité de la Clinique du MONT-LOUIS, la Cour d’Appel précise que le contrat d’hospitalisation et de soins met à la charge de l’établissement de santé l’obligation de mettre à la disposition du patient un personnel qualifié, personnel paramédical et médecins, en nombre suffisant, pouvant intervenir dans les délais imposés par son état. Il s’agit, encore une fois, d’une obligation de moyen et la responsabilité de la clinique ne peut être engagée qu’en cas de faute.

En l’espèce, la Cour d’Appel de PARIS rappelle qu’au moment des faits, le chirurgien était assuré pour la seule activité de médecin généraliste et aucunement pour les actes de chirurgie alors que pèse sur l’établissement de soin, tant une obligation de contrôle des qualifications professionnelles des médecins qui exercent à titre libéral en son sein, que de s’assurer qu’ils sont bien couverts au titre de leur contrat d’assurance responsabilité civile pour tous les actes qu’ils sont amenés à y accomplir.

La Clinique du MONT-LOUIS n’avait procédé, à aucun moment, à une telle vérification.

Néanmoins, comme le souligne la Cour d’Appel de PARIS, il appartenait également à la patiente de rapporter la preuve que cette abstention fautive de la clinique était à l’origine, pour elle, d’un dommage.

Or, la patiente ne démontrait pas que le chirurgien libéral n’exerçait plus et était insolvable, de sorte que son préjudice financier était hypothétique.

Pour que la Clinique du MONT-LOUIS puisse être condamnée solidairement avec son chirurgien, il aurait fallu que la patiente rapporte la preuve d’un préjudice certain, en lien avec la carence fautive de cette clinique.

Dès lors, seul le chirurgien libéral sera tenu, au final, d’indemniser personnellement la victime.

En effet, n’ayant pas souscrit d’assurance professionnelle pour les actes chirurgicaux, il sera tenu d’indemniser la patiente sur son patrimoine personnel.

La Cour d’Appel de PARIS confirme donc le jugement rendu, en première instance, par le Tribunal de Grande Instance de PARIS, sauf en ce qu’elle a accepté de majorer certaines indemnités allouées au profit de la victime. 

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