Condamnation pénale de l’employeur après la chute mortelle d’un ouvrier sur un chantier

Condamnation pénale de l’employeur après la chute mortelle d’un ouvrier sur un chantier
Publié le 4/09/23

Le salarié d’une société en charge de la maintenance d’outillage portuaire au sein d’une autre société a fait une chute mortelle depuis un portique porte-conteneur appartenant à cette dernière, sur un chantier auquel participaient plusieurs sociétés. 

Les deux premières sociétés ont été poursuivies, en leurs qualités respectives d’entreprise extérieure et d’entreprise utilisatrice, pour exécution de travaux sans inspection commune préalable et, s’agissant de l’employeur, pour homicide involontaire dans le cadre du travail par personne morale. 

En première instance, les Juges ont relaxé l’employeur du chef d’homicide involontaire et condamné les deux sociétés pour le premier délit susvisé.

Le Tribunal Correctionnel a, par ailleurs, débouté les proches de la victime de l’ensemble de leurs demandes du fait de la relaxe.

Les deux sociétés, le Ministère Public et certaines parties civiles ont interjeté appel de cette décision.

Par arrêt en date du 27 janvier 2021, la Chambre Correctionnelle de la Cour d’Appel de ROUEN a condamné les deux sociétés pour infraction à la réglementation sur l’hygiène et la sécurité des travailleurs, outre une condamnation pour homicide involontaire à l’encontre de l’employeur. 

Les deux sociétés se sont alors pourvues en cassation.

Or, comme le rappelle la Cour de cassation dans son arrêt en date du 4 avril 2023 (Cour de cassation, Chambre criminelle, 4 avril 2023, Pourvoi n°21-81742), pour dire établis les délits d’exécution de travaux par entreprise utilisatrice sans inspection commune préalable et d’homicide involontaire par personne morale, la Cour d’Appel retient, d’une part, que l’opération de maintenance sur le câble de relevage était nouvelle tant pour le salarié que l’entreprise dès lors qu’il s’agissait du premier remplacement depuis la mise en service du portique et, d’autre part, que la visite réalisée en amont de l’intervention sur celui-ci avec un autre salarié, ne pouvait être considérée comme une inspection préalable dans la mesure où cette visite n’avait que pour objectif d’examiner le matériel nécessaire à l’opération dans le but d’établir une proposition commerciale de contrat de maintenance et non d’examiner les précautions de sécurité exigées par la réglementation fixée par le Code du Travail.

Les Conseillers de la Cour d’Appel retiennent ainsi les déclarations du second salarié précisant qu’il est venu « juste pour l’outillage » lors de la visite, ce qui a été confirmé par l’audition de M. [T], responsable de la société, lequel avait indiqué que le mode opératoire établi par lui n’était qu’un document type ne prenant en compte ni les spécificités du portique n°1001 ni la prestation à réaliser et ce, alors qu’il n’avait aucune compétence spécifique dans le domaine de la sécurité. 

Ils ajoutent qu’il n’est pas démontré que cette visite aurait permis d’aborder les questions de sécurité liées à des interventions conjointes sur le site et que le mode opératoire rédigé par M. [T] n’a en tout état de cause pas été transmis au salarié victime ni aux salariés des autres sociétés intervenantes.

Ils en déduisent, d’une part, qu’il est établi qu’aucune communication réciproque entre les sociétés ne s’est effectuée préalablement à l’opération de maintenance sur ces risques et dangers, le plan de prévention réalisé, non communiqué aux salariés des sociétés, s’avérant à l’examen très superficiel, exempt d’exhaustivité et d’efficience sur l’appréciation des dangers dans la mesure où aucune visite préalable dans cette perspective n’a été réalisée et ne reflétant pas l’individualisation nécessaire à ce type d’opérations.    

Ils relèvent, d’autre part, qu’aucun autre élément allégué ne permet d’envisager que l’obligation d’inspection préalable spécifique du site a été remplie puisqu’aucune analyse commune entre les différents intervenants n’a été accomplie, qu’un responsable d’activité portuaire d’une des sociétés a admis qu’aucune trace écrite de l’inspection préalable n’avait été réalisée et que les prescriptions des dispositions des articles R.4512-2 et suivants du Code du Travail n’ont pas été suivies d’effet notamment sur la matérialisation des zones de danger et leur inviolabilité, la description des travaux à accomplir, des matériels à utilise et le mode opératoire de l’intervention. 

Enfin, les juges retiennent que la victime n’était pas titulaire d’une délégation de pouvoir écrite de la part de son employeur et n’apparaissait pas, en l’état des éléments fournis par ce dernier, investi des compétences techniques et juridiques et des moyens nécessaires à l’exercice d’une mission de garantie de la sécurité et des moyens nécessaires pour veiller à l’observation des règles en vigueur en la matière. 

Ils soulignent ainsi que la mention figurant en annexe de son contrat de travail est trop incertaine pour pouvoir être considérée comme une telle délégation alors qu’elle n’est pas précise quant à son domaine et sa portée, que si le salarié a pu veiller au respect des règles de sécurité, cette seule affirmation ne témoigne pas qu’il disposait des compétences pour ce faire, comme cela résulte de la tenu inappropriée aux conditions de travail qu’il portait pour l’intervention et des choix techniques inappropriés faits également pour le remplacement du câble. Les juges ajoutent qu’il est également établi par les éléments du dossier, d’une part, que l’intéressé n’avait suivi aucune formation à ce titre depuis son embauche et, d’autre part, que les autorisations d’engagement de dépenses étaient validées par le directeur du site, lui-même titulaire d’une délégation de pouvoir. 

En l’état de ces seules énonciations, relevant de son appréciation souveraine quant à l’inexistence d’une délégation de pouvoirs valide à la victime, la Cour d’Appel, qui n’avait pas à suivre les sociétés prévenues dans le détail de leur argumentation et qui, en rappelant qu’il appartenait aux sociétés en cause de démontrer qu’elles avaient satisfait à leur obligation réglementaire de réaliser une inspection commune préalable aux travaux engagés, n’a pas inversé la charge de la preuve et a justifié sa décision. 

Par conséquent, les condamnations pénales des deux sociétés sont confirmées. 

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