Vérification de l’impartialité des Experts Judiciaires par le Conseil d’Etat

Publié le 8/01/24

Un homme a été victime d’un accident de la circulation.

Pris en charge au sein du Centre Hospitalier Régional Universitaire de ROUEN, il a subi, le 15 juin 2012, une opération dont il a conservé des séquelles sous la forme d’une paraplégie.

Par jugement en date du 4 décembre 2013, le Tribunal Correctionnel de CHARTRES a déclaré l’automobiliste, auteur de l’accident de la circulation, redevable de l’indemnisation des préjudices subis par la victime.

En application des dispositions de la loi du 5 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accident de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation, la MACIF, assureur du conducteur responsable, a indemnisé la victime de ses dommages corporels et remboursé les débours aux tiers payeurs. 

Subrogée dans les droits de la victime, la MACIF a demandé au Tribunal Administratif de ROUEN de condamner le Centre Hospitalier Régional Universitaire de ROUEN, dont l’assureur est la SHAM, au remboursement de ses débours à la victime et aux tiers payeurs.

Par jugement en date du 6 juin 2019, le Tribunal Administratif a rejeté sa demande.

Par un arrêt avant dire droit en date du 6 avril 2021, devenu définitif, la Cour Administrative d’Appel de DOUAI, après avoir jugé que la responsabilité du Centre Hospitalier Régional Universitaire de ROUEN n’était susceptible d’être engagée ni sur le fondement d’une faute dans l’organisation ou le fonctionnement du service, ni à raison d’un manquement au devoir d’information du patient, a ordonné une expertise portant sur l’intervention chirurgicale subie par la victime, le 15 juin 2012.

Par ordonnance en date du 19 mai 2021, le Président de la Cour Administrative d’Appel de DOUAI a désigné comme Expert Judiciaire le Docteur A… D…, qui a déposé son rapport le 9 septembre 2021.

Par arrêt en date du 21 décembre 2021, la Cour Administrative d’Appel de DOUAI a rejeté l’appel formé par la MACIF contre le jugement de première instance. 

La MACIF s’est alors pourvue en cassation. 

Aux termes de son pourvoi, elle remet en cause l’impartialité de l’Expert Judiciaire désigné par la Cour Administrative d’Appel de DOUAI, dès lors que ce dernier avait assuré, au cours de l’année 2021, en qualité de médecin conseil, plusieurs missions, dont certaines étaient encore en cours, pour le compte de la SHAM, assureur du Centre Hospitalier Régional Universitaire de ROUEN dont la responsabilité était recherchée par la MACIF. 

Or, par arrêt en date du 11 octobre 2023 (Conseil d’Etat, 5ème et 6ème Chambres Réunies, 11 octobre 2023, N°461706), le Conseil d’Etat a fait droit à l’argumentation développée par la MACIF et censuré l’arrêt rendu par la Cour Administrative d’Appel de DOUAI.

Comme le rappelle le Conseil d’Etat, il appartient au juge, saisi d’un moyen mettant en doute l’impartialité d’un expert, de rechercher si, eu égard à leur nature, à leur intensité, à leur date et à leur durée, les relations directes ou indirectes entre cet expert et l’une ou plusieurs des parties au litige sont de nature à susciter un doute sur son impartialité. 

En particulier, doivent en principe être regardées comme suscitant un tel doute les relations professionnelles s’étant nouées ou poursuivies durant la période de l’expertise.

Par ailleurs, le Conseil d’Etat ajoute qu’aux termes du deuxième alinéa de l’article R.4127-105 du Code de la Santé Publique : « Un médecin ne doit pas accepter une mission d’expertise dans laquelle sont en jeu ses propres intérêts, ceux d’un de ses patients, d’un de ses proches, d’un de ses amis ou d’un groupement qui fait habituellement appel à ses services ». 

Or, en l’espèce, le Conseil d’Etat souligne qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le Docteur A… D…  a déposé son rapport le 9 septembre 2021 et avait assuré au cours de l’année 2021, en qualité de médecin conseil, plusieurs missions, dont certaines étaient encore en cours, pour le compte de la SHAM, assureur du Centre Hospitalier Régional Universitaire de ROUEN dont la responsabilité était recherchée par la MACIF.

En jugeant que la MACIF n’était pas fondée à mettre en cause l’impartialité du Docteur A… D…, eu égard, d’une part, aux obligations déontologiques et aux garanties qui s’attachent tant à la qualité de médecin qu’à celle d’expert désigné par une juridiction et, d’autre part, au déroulement des opérations d’expertise, tenues en présence de deux médecins-conseils de la MACIF, la cour administrative a inexactement qualifié les faits de l’espèce, alors d’ailleurs qu’il appartenait au médecin expert de refuser la mission d’expertise en application de l’article R.4127-105 du Code de la Santé Publique.

Selon le Conseil d’Etat, la MACIF est donc fondée à demander l’annulation de l’arrêt rendu par la Cour Administrative d’Appel de DOUAI dès lors qu’elle était bien fondée à remettre en cause l’impartialité de l’Expert Judiciaire et que ce dernier aurait dû refuser la mission d’expertise qui lui a été confiée. 

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