Responsabilité d’une station-service en cas de chute d’un client sur une flaque d’essence

Responsabilité d’une station-service en cas de chute d’un client sur une flaque d’essence
Publié le 25/09/23

L’article 1242 alinéa 1er du Code civil (Ancien article 1384 alinéa 1er) dispose que :

« On est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde ». 

Pendant de très nombreuses décennies, cet alinéa était dépourvu de toute valeur juridique particulière et était surtout conçu comme un texte de transition entre la responsabilité du fait personnel, organisée aux articles 1240 et 1241 du Code civil (Anciens articles 1382 et 1383), et les cas spéciaux de responsabilité du fait d’autrui et du fait des choses.

En effet, en 1804, lors de l’instauration du Code civil, les cas de responsabilité du fait d’autrui et du fait des choses étaient très limités.

Ce n’est qu’à la suite de l’accroissement du nombre d’accidents liés à la Révolution Industrielle française puis au développement de la circulation automobile, que la Cour de cassation a été contrainte d’ériger, au fil de sa jurisprudence et sur la base de ce seul alinéa, un régime général de la responsabilité du fait des choses.

Le régime général de la responsabilité du fait des choses est donc une création purement prétorienne.

Ce régime s’applique désormais dans un très grand nombre d’hypothèses et notamment en cas de chute d’une personne, à l’origine de dommages corporels.

Il importe peu que cette chute intervienne au domicile d’un tiers, dans un centre commercial, sur un parking privé ou même dans les parties communes d’un immeuble.

Dès lors que les conditions définies par la Cour de cassation sont respectées, la victime d’une chute peut obtenir la réparation de l’ensemble de ses préjudices.

C’est ce qu’est venue rappeler la Cour d’Appel de DIJON dans un arrêt en date du 16 mai 2023 (Cour d’Appel de DIJON, 1ère Chambre Civile, 16 mai 2023, RG n°21/01113). 

En application du régime de la responsabilité du fait des choses, mis en place par la Cour de cassation, quatre conditions cumulatives sont nécessaires pour qu’une victime puisse être indemnisée de ses préjudices, à savoir : 

  • Un fait de la chose ; 
  • Un gardien de la chose ; 
  • Un dommage ;
  • Un lien de causalité entre le fait de la chose et le dommage ; 
  • Le fait de la chose : 

La Cour de cassation rappelle régulièrement que, pour ouvrir droit à indemnisation au profit de la victime, la chose doit avoir été l’instrument du dommage.

Pour déterminer si une chose a, ou non, été l’instrument du dommage, la Cour de cassation opère une distinction entre les choses inertes et les choses en mouvement.

S’agissant des choses inertes, il est classiquement admis en jurisprudence qu’il appartient à la victime de rapporter la preuve que la chose a eu un rôle actif dans son accident.

Pour ce faire, la victime doit démontrer que la chose présentait une anormalité quant à son état, son positionnement ou son fonctionnement.

En revanche, s’agissant des choses en mouvement, la Cour de cassation considère de façon assez classique que, dès lors qu’il y a eu contact entre cette chose et la victime, le rôle actif de la chose doit être présumé.

En effet, dans cette hypothèse, il est vraisemblable que la chose en mouvement soit à l’origine du dommage.

C’est la première hypothèse qu’illustre l’arrêt rendu, le 16 mai 2023, par la Cour d’Appel de DIJON (Cour d’Appel de DIJON, 1ère Chambre Civile, 16 mai 2023, RG n°21/01113). 

Dans cette affaire, le 28 janvier 2016, un client d’une station-service a glissé sur une flaque d’essence et s’est fracturé l’humérus gauche.

En l’espèce, il n’y avait pas eu de témoin direct de la chute.

Néanmoins, les vêtements portés par la victime ce jour-là étaient imprégnés de gasoil.

De plus, trois autres clients attestaient de la présence de gasoil sur le sol de la station-service, le jour de l’accident mais également les jours suivants. 

Au vu de ces éléments, la Cour d’Appel de DIJON a considéré que « Cette présence d’essence constante et fréquente, qui rendait le sol glissant, caractérise une faute de négligence ou d’imprudence de la station-service qui n’a pas pris les mesures adaptées pour y remédier, faute de nature à engager sa responsabilité délictuelle. ». 

Elle ajoute que « La seule présence d’affichettes sur les pompes à essence, indiquant « attention chaussée glissante par temps de pluie » ne permet pas d’exonérer [la station-service] de sa responsabilité, dès lors que, d’une part, les précautions prises par les clients ne suffisaient pas à éviter les chutes et que, d’autre part, d’autres mesures étaient de nature à assurer plus efficacement la sécurité de la clientèle telle que la mise en place de sable sur les flaques d’essence ».

Enfin, la Cour d’Appel de DIJON prend soins de préciser que « aucun des éléments du dossier ne démontre que la victime a eu un comportement imprudent lorsqu’elle a regagné son véhicule après son paiement en caisse ». 

Partant, la responsabilité de la station-service est donc engagée en raison du sol rendu anormalement glissant par la présence d’essence.

  • La garde de la chose : 

S’agissant de la notion de garde, il est classiquement admis en jurisprudence que le propriétaire d’une chose en est présumé être le gardien.

Cependant, ce propriétaire a la possibilité de renverser cette présomption et de rapporter la preuve qu’il n’était pas gardien de la chose au moment du dommage.

En effet, depuis un arrêt de principe en date du 2 décembre 1941 (Cour de cassation, Chambres Réunies, 2 décembre 1941, Arrêt Franck), la Cour de cassation fait prévaloir la notion de garde matérielle.

Dans l’arrêt précité, une voiture, prêtée par un médecin à son fils, avait été volée et avait causé un accident. Les héritiers de la victime avaient alors intenté une action en responsabilité à l’encontre du propriétaire de la voiture. 

Cependant, dans son arrêt en date du 2 décembre 1941, la Cour de cassation considère que, dès lors qu’un propriétaire n’exerce plus les pouvoirs que sont l’usage, le contrôle et la direction sur la chose, il n’en a plus la garde.

En définissant la garde de la chose comme la rencontre des pouvoirs d’usage (se servir de la chose), de contrôle (être en position d’éviter les dysfonctionnements de la chose) et de direction (décider de la finalité de l’emploi de la chose), la Cour de cassation fait donc prévaloir la théorie de la garde matérielle ou effective de la chose sur celle de la garde juridique.

Seul celui qui exerçait effectivement les pouvoirs sur la chose au moment de l’accident sera responsable.

Par ailleurs, la Cour de cassation considère que la qualité de gardien est totalement indépendante de la faculté de discernement.

En effet, depuis un arrêt en date du 1er mars 1967 (Cour de cassation, Civile 2ème, 1er mars 1967), la Cour de cassation considère qu’une personne dépourvue de discernement peut parfaitement avoir la qualité de gardien de la chose.

Il en va de même pour les enfants (Cour de cassation, Assemblée Plénière, 9 mai 1984, Pourvoi n°80-14994, Arrêt Gabillet) ; un enfant, même en bas âge, peut parfaitement avoir la qualité de gardien.

Cette solution s’explique principalement par le fait que les particuliers sont assurés au titre de leur responsabilité civile. 

A défaut d’une telle solution, une personne grièvement blessée pourrait ne pas être indemnisée dans la mesure où il serait rapporté la preuve que le gardien de la chose était dépourvu de discernement au moment de l’accident, ce qui pourrait alors laisser la victime dans une situation financière précaire.

La Cour de cassation s’efforce donc, dans la très grande majorité des cas, de trouver un responsable et donc un débiteur pouvant indemniser la victime. 

En l’espèce, le sol anormalement glissant appartenait bien à la station-service ; cela n’était pas contesté. 

  • Le lien de causalité entre le fait de la chose et le dommage : 

S’agissant du lien de causalité, deux théories coexistent en matière de responsabilité civile :

  • La théorie de la causalité adéquate qui opère un tri entre les différents évènements ayant concouru au dommage pour ne retenir, comme cause juridique, que l’évènement principal qui a, plus que les autres, contribué à la réalisation du dommage ; 
  • La théorie de l’équivalence des conditions qui n’établit pas de hiérarchie entre les évènements à l’origine du dommage. L’ensemble des événements sans lesquels le dommage ne se serait pas produit peuvent être retenus comme cause juridique ; 

En l’espèce, il n’existait pas de débat s’agissant du lien de causalité entre la chute de la victime et sa blessure au bras gauche. 

Par conséquent, l’ensemble des conditions prévues à l’article 1242 alinéa 1er du Code civil étant réunies, l’assureur de la station-service sera tenu d’indemniser la victime et de réparer l’ensemble de ses préjudices en lien avec sa chute, imputable à la présence d’essence au sol.

Article rédigé avec la participation de Madame Léa BUSSEREAU, stagiaire

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