Rappel par le Conseil d’Etat des conditions de l’action récursoire d’un médecin libéral contre un Centre Hospitalier en cas de pluralité de fautes lors de la prise en charge d’un patient

Publié le 22/01/24

Le 6 avril 2009 à 21h47, une mère, s’inquiétant de la forte fièvre que présentait sa fille âgée de 17 jours, a été dirigée par le médecin régulateur du SAMU, rattaché au Centre Hospitalier de CARCASSONNE, vers la maison médicale de garde de CARCASSONNE en vue de s’y faire délivrer du paracétamol.

Le médecin libéral, qui a reçu l’enfant à 22h30, l’a examinée et a confirmé la prescription de paracétamol pour faire tomber la fièvre.

Le 8 avril au soir, devant la persistance des symptômes, l’enfant a été conduite au Centre Hospitalier de CARCASSONNE où les investigations effectuées ont révélé qu’elle souffrait d’une méningite à pneumocoque, qui a entrainé de lourdes séquelles.

Après avoir ordonné une expertise médicale, le Tribunal de Grande Instance de CARCASSONNE, estimant que le médecin libéral avait commis une faute médicale ayant entraîné une perte de chances pour l’enfant d’échapper à ces séquelles, l’a condamnée ainsi que son assureur, la MACSF, à verser à la mère diverses indemnités provisionnelles à valoir sur l’indemnisation définitive des préjudices subis, par un jugement en date du 28 novembre 2017 du Tribunal Judiciaire de CARCASSONNE. 

Une ordonnance du Juge de la mise en état du 21 mars 2019 et un second jugement du Tribunal Judiciaire de CARCASSONNE, rendu le 10 novembre 2020, ont mis à la charge du médecin libéral et son assureur des indemnités complémentaires.

Le médecin libéral et la MACSF, arguant de la faute commise par le médecin régulateur du SAMU en n’adressant pas l’enfant au Service des Urgences de l’Hôpital mais à la maison médicale de garde, ont demandé au Tribunal Administratif de MONTPELLIER de condamner le Centre Hospitalier de CARCASSONNE à leur rembourser les sommes mises à leur charge par les juridictions de l’ordre judiciaire, ou au moins une fraction de celles-ci.

Par jugement en date du 22 juin 2020, le Tribunal Administratif de MONTPELLIER a rejeté cette demande.

Par arrêt en date du 17 décembre 2021, la Cour Administrative d’Appel de MARSEILLE a confirmé le jugement précité en estimant que le choix du médecin régulateur du SAMU d’orienter l’enfant vers le médecin libéral était fautif et portait en lui-même l’entier dommage, mais qu’eu égard au très bref délai qui s’est écoulé entre cette orientation fautive et l’examen de l’enfant par le médecin libéral et le diagnostic fautif de celle-ci, la faute du médecin régulateur ne pouvait être regardée comme une des causes déterminantes des préjudices subis. 

Le médecin libéral et la MACSF se sont donc pourvues en cassation à l’encontre de cette décision.

Or, par arrêt en date du 10 octobre 2023 (Conseil d’Etat, 5ème Chambre, 10 octobre 2023, N°461535), le Conseil d’Etat a censuré l’arrêt rendu par la Cour Administrative d’Appel de MARSEILLE.

Comme le rappelle le Conseil d’Etat, lorsqu’un dommage trouve sa cause dans plusieurs fautes qui, commises par des personnes différentes ayant agi de façon indépendante, portaient chacune en elle normalement ce dommage au moment où elles se sont produites, la victime peut rechercher la réparation de son préjudice en demandant la condamnation de l’une de ces personnes ou de celles-ci conjointement, sans préjudice des actions récursoires que les coauteurs du dommage pourraient former entre eux. 

Lorsque l’un des auteurs du dommage a été condamné par le juge judiciaire à réparer tout ou partie de celui-ci, il peut former une action récursoire contre une personne publique co-responsable devant le juge administratif, auquel il appartient alors de fixer le partage de responsabilité entre les co-auteurs et l’indemnisation due en conséquence par la personne publique à la personne privée, dans la limite des droits qu’auraient pu faire valoir la victime du dommage à l’égard de la collectivité publique.

Or, selon le Conseil d’Etat, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, et notamment du rapport de l’expertise ordonnée par le juge judiciaire, que les recommandations médicales en vigueur au moment des faits préconisaient, devant la difficulté de diagnostiquer une méningite bactérienne chez un nourrisson, de toujours hospitaliser un enfant de moins de 28 jours présentant une forte fièvre, afin de débuter une antibiothérapie systématique en attendant les résultats des prélèvements.

Ainsi, la faute commise par le médecin régulateur du SAMU en n’orientant pas immédiatement, sur l’appel de la mère, l’enfant vers les urgences pédiatriques du Centre Hospitalier de CARCASSONNE portait en elle, tout comme le diagnostic erroné posé trente minutes plus tard par le médecin libéral de la maison de garde, la totalité des conséquences dommageables du retard de diagnostic et de traitement de la méningite à pneumocoque. 

En jugeant que la faute commise par le médecin régulateur ne pouvait, du fait de l’erreur de diagnostic commise ensuite par le médecin libéral, être regardée comme une cause déterminante du préjudice subi et en rejetant pour ce motif l’action du médecin libéral et de son assureur devant les juridictions administratives, la Cour Administrative d’Appel de MARSEILLE a commis une erreur de droit.

Le médecin libéral et son assureur sont donc fondés à solliciter l’annulation de l’arrêt rendu par la Cour Administrative d’Appel de MARSEILLE.

Ainsi, le médecin libéral et son assureur pourront exercer leur action récursoire contre le Centre Hospitalier de CARCASSONNE. 

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