Manquement à l’obligation d’information et perte de chance

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Publié le 28/11/16

Dans un arrêt en date du 3 février 2016 (Conseil d’État, 5ème / 4ème SSR, 3 février 2016, N°376620), le Conseil d’État est venu consolider sa jurisprudence relative à la perte de chance imputable à un manquement à l’obligation d’information.

En l’espèce, le 23 mars 2001, une femme a subi, au sein du Centre Hospitalier Régional Universitaire de LILLE, une intervention chirurgicale tendant à réduire deux hernies discales thoraciques qui entraînaient une compression de la moëlle épinière.

A la suite de cette intervention, la patiente est restée atteinte d’une paraplégie en raison d’une lésion médullaire provoquée par son opération.

Estimant que la responsabilité du Centre Hospitalier Universitaire de LILLE était engagée, la patiente a saisi le Tribunal Administratif de LILLE afin d’être indemnisée de l’ensemble de ses préjudices.

Toutefois, par jugement en date du 19 décembre 2012, le Tribunal a écarté toute responsabilité du Centre Hospitalier.

Par ailleurs, ce jugement a été confirmé par la Cour Administrative d’Appel de DOUAI, dans un arrêt en date du 21 janvier 2014.

La patiente s’est alors pourvue en cassation à l’encontre de cette décision devant le Conseil d’État.

Sur l’obligation d’information à la charge des professionnels de santé

Comme le rappelle le Conseil d’Etat, dans son arrêt en date du 3 février 2016 :

« Considérant que lorsque l’acte médical envisagé, même accompli conformément aux règles de l’art, comporte des risques connus de décès et d’invalidité, le patient doit être informé dans des conditions qui permettent de recueillir son consentement éclairé ; que, si cette information n’est pas requise en cas d’urgence, d’impossibilité, de refus du patient d’être informé, la seule circonstance que les risques ne se réalisent qu’exceptionnellement ne dispense pas les praticiens de leur obligation ».

Il ressort de cet arrêt que, préalablement à tout acte médical ou intervention chirurgicale, le consentement du patient doit être recueilli ; le malade doit consentir au traitement qui lui est proposé.

Il s’agit d’un droit pour lui et d’une obligation pour le professionnel de santé.

En effet, prescrire et appliquer un traitement, sans l’accord préalable du patient, constitue une faute engageant la responsabilité du professionnel ou de l’établissement de santé.

Or, ce consentement du patient n’a de sens que s’il est éclairé, c’est-à-dire précédé d’une information précise, loyale et adéquate sur les soins envisagés, les risques encourus, l’existence ou l’absence de solutions alternatives ainsi que les avantages et les inconvénients comparés.

Cette obligation d’information porte sur tous les risques inhérents à l’acte de soin envisagé.

Il s’agit aussi bien des risques fréquents et graves que des risques exceptionnels.

Or, il appartient au professionnel ou à l’établissement de santé de rapporter la preuve que l’information a bien été délivrée, dans son intégralité au patient.

Sur la perte de chance d’échapper au risque lié à l’intervention en cas manquement à l’obligation d’information

Aux termes de son arrêt en date du 3 février 2016, le Conseil d’État rappelle :

« qu’un manquement des médecins à leur obligation d’information engage la responsabilité de l’hôpital dans la mesure où il a privé le patient d’une chance de se soustraire au risque lié à l’intervention en refusant qu’elle soit pratiquée ; que c’est seulement dans le cas où l’intervention était impérieusement requise, en sorte que le patient ne disposait d’aucune possibilité raisonnable de refus, que les juges du fond peuvent nier l’existence d’une perte de chance ».

Il ressort de cet arrêt, lequel est conforme à la jurisprudence constante du Conseil d’État, que lorsque le patient n’a pas été correctement informé sur les soins envisagés, les risques encourus, l’existence ou l’absence de solutions alternatives ainsi que les avantages et les inconvénients comparés d’une intervention, ce patient perd une chance de refuser, en connsaissance de cause, l’intervention qui lui a été proposée par le professionnel ou l’établissement de santé.

Cette perte de chance ainsi que le manquement à l’obligation d’intervention permettent alors d’engager la responsabilité du professionnel ou de l’établissement de santé.

Toutefois, le Conseil d’État pose une limite à ce principe.

En effet, il n’existe aucune perte de chance ouvrant droit à indemnisation lorsque l’intervention à l’origine des préjudices du patient était « impérieusement requise » ; que l’information ait ou non été valablement délivrée par le professionnel ou l’établissement de santé, le patient ne disposait d’aucune possibilité de refuser l’acte médical ou l’intervention chirurgicale.

En l’espèce, la patiente reprochait au Centre Hospitalier Régional Universitaire de LILLE de ne pas l’avoir informée sur le risque de complication neurologique (sur le risque de paraplégie) préalablement à l’intervention chirurgicale tendant à réduire deux hernies discales thoraciques qui entraînaient une compression de la moëlle épinière.

Néanmoins, dans son jugement en date du 19 décembre 2012 et dans son arrêt en date du 21 janvier 2014, le Tribunal Administratif de LILLE et la Cour Administrative d’Appel de DOUAI ont considéré que, même si le manquement à l’obligation d’information était caractérisé en l’espèce, il n’existait, en revanche, aucune perte de chance pour la patiente.

En effet, selon eux, la patiente présentait, avant l’opération, deux hernies discales calcifiées, provoquant une compression médullaire lente révélée par des troubles neurologiques et qu’eu égard à la gravité de ces pathologies, dont l’évolution vers une paraplégie était inéluctable, une intervention chirurgicale présentait un caractère impérieux, excluant toute possibilité raisonnable de refus.

Dès lors que les pathologies de la patiente évoluaient vers une paraplégie certaine, la patiente ne disposait d’aucune possibilité de refuser l’intervention qui lui a été proposée par le Centre Hospitalier Régional Universitaire de LILLE.

Aussi, il n’existait aucune perte de chance d’éviter le dommage consécutif au manquement à l’obligation d’information du Centre Hospitalier.

Cependant, dans son arrêt en date du 3 février 2016, le Conseil d’État censure le raisonnement retenu par les juridictions du fond.

Selon le Conseil d’État, il existait bien une perte de chance indemnisable pour la patiente.

« qu’en se prononçant ainsi, sans rechercher dans quel délai une évolution vers une paraplégie était susceptible de se produire si la patiente refusait de subir dans l’immédiat l’intervention qui lui était proposée, la cour n’a pas légalement justifié son arrêt sur ce point ».

Selon le Conseil d’Etat, il n’est pas sérieusement contestable que la pathologie de la patiente évoluait vers une paraplégie.

Toutefois, la Cour Administrative d’Appel de DOUAI ne constate pas que cette paralysie serait intervenue rapidement en l’absence de toute opération.

Par conséquent, si la patiente avait été valablement informée par le Centre Hospitalier Régional Universitaire de LILLE, notamment sur l’évolution prévisible de sa maladie, peut-être aurait-elle refusé, dans l’immédiat, l’intervention chirurgicale et préférer la décaler dans le temps afin de ne pas courir le risque d’être paralysée aujourd’hui alors même qu’elle ne l’aurait été que bien plus tard en raison de l’évolution normale de sa pathologie.

Dès lors, selon le Conseil d’État, il existe bien une perte de chance d’avoir pu refuser l’intervention qui l’a rendue paraplégique du fait du manquement à l’obligation d’information du Centre Hospitalier Régional Universitaire de LILLE.

Aussi, ce manquement à l’obligation d’information et cette perte de chance engagent la responsabilité du Centre Hospitalier Régional Universitaire de LILLE et ouvrent droit à indemnisation pour la patiente.

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