Contraceptif et responsabilité du fait des produits défectueux

Contraceptif et responsabilité du fait des produits défectueux
Publié le 9/11/18

Les articles 1245 et suivants du Code civil (Anciennement 1386-1 et suivants) encadrent le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux.

Ce régime, qui a pour origine une directive européenne du 25 juillet 1985, n’a été transposé en France que par une loi du 19 mai 1998, soit avec plus de 10 années de retard.

Comme le rappelle l’article 1245 du Code civil :

« Le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu’il soit ou non lié par un contrat avec la victime ».

Ainsi, comme pour les accidents de la circulation, le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux échappe à la classification traditionnelle opposant responsabilité contractuelle et responsabilité délictuelle.

Les conditions d’application du régime de la responsabilité du fait des produits défectueux :

En application des articles 1245 et suivants du Code civil, quatre conditions sont nécessaires pour qu’une victime puisse être indemnisée sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux, à savoir :

  • La preuve de la mise en circulation d’un produit défectueux ;
  • L’existence d’un producteur ;
  • L’existence d’un dommage réparable ;
  • L’existence d’un lien de causalité ;

S’agissant de la mise en circulation du produit défectueux, l’article 1245-2 du Code civil précise que :

« Est un produit tout bien meuble, même s’il est incorporé dans un immeuble, y compris les produits du sol, de l’élevage, de la chasse et de la pêche.

L’électricité est considérée comme un produit ».

Le Code civil retient donc une définition large de la notion de produit.

Par ailleurs, doit être qualifié de défectueux, le produit « qui n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre » (Article 1245-3 du Code civil).

Il ressort de cette disposition que le caractère défectueux d’un produit doit être apprécié in abstracto, par référence à la sécurité à laquelle le public en général peut s’attendre. Pour apprécier cette sécurité, il doit être tenu compte de toutes les circonstances de l’espèce, notamment de la présentation du produit (Ex : l’insuffisance d’informations et de mises en garde relatives à l’utilisation du produit), de l’usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation

Le Code civil précise également que le producteur peut être responsable du défaut alors même que le produit a été fabriqué dans le respect des règles de l’art ou des normes existantes ou qu’il a fait l’objet d’une autorisation administrative (Article 1245-9 du Code civil).

Enfin, l’article 1245-4 du Code civil dispose que :

« Un produit est mis en circulation lorsque le producteur s’en est dessaisi volontairement.

Un produit ne fait l’objet que d’une seule mise en circulation ».

La mise en circulation correspond donc à la commercialisation ou à la mise sur le marché d’un produit.

S’agissant de l’existence d’un producteur, l’article 1245-5 du Code civil rappelle que :

« Est producteur, lorsqu’il agit à titre professionnel, le fabricant d’un produit fini, le producteur d’une matière première, le fabricant d’une partie composante».

Dans l’hypothèse où l’identité du producteur demeure inconnue, le fournisseur peut alors voir sa responsabilité engagée en lieux et place du producteur.

Néanmoins, la mise en cause de la responsabilité du fournisseur n’est possible qu’à la condition que ce dernier ne communique pas dans le délai de trois mois à compter de la demande de la victime, l’identité de son propre fournisseur ou du producteur (Article 1245-6 du Code civil).

Le cas échéant, le fournisseur pourra ensuite se retourner à l’encontre du producteur pour obtenir le remboursement des sommes versées à la victime à condition qu’il agisse dans l’année suivant la date de citation en justice.

S’agissant du dommage indemnisable, l’article 1245-1 du Code civil rappelle que :

« Les dispositions du présent chapitre s’appliquent à la réparation du dommage qui résulte d’une atteinte à la personne.

Elles s’appliquent également à la réparation du dommage supérieur à un montant déterminé par décret, qui résulte d’une atteinte à un bien autre que le produit défectueux lui-même ».

En application des dispositions précitées, les dommages indemnisables sont les dommages à la personne et les dommages aux biens à deux exceptions. Tout d’abord, ne sont pas indemnisables en application de ces dispositions les dommages causés au produit défectueux lui-même. Ensuite, pour être indemnisés, les dommages aux biens doivent être supérieurs à un montant déterminé par décret. Les dommages aux biens d’un faible montant échapperont donc au régime de la responsabilité du fait des produits défectueux.

Enfin, pour être indemnisée, la victime doit rapporter la preuve du lien de causalité entre le défaut du produit et son dommage (Article 1245-8 du Code civil).

Les causes d’exonération du producteur :

Deux types de causes d’exonération peuvent être invoqués par le producteur pour tenter d’échapper à sa responsabilité : des causes d’exonération de droit commun et des causes d’exonération spécifiques à la responsabilité du fait des produits défectueux.

Tout d’abord, même si elle n’est pas visée expressément par les dispositions encadrant le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux, la force majeure constitue une cause d’exonération pour le producteur, à charge pour lui de démontrer l’existence d’un fait extérieur, imprévisible et irrésistible.

S’agissant de la faute de la victime, l’article 1245-12 du Code civil précise que :

« La responsabilité du producteur peut être réduite ou supprimée, compte tenu de toutes les circonstances, lorsque le dommage est causé conjointement par un défaut du produit et par la faute de la victime ou d’une personne dont la victime est responsable ».

La faute de la victime peut donc être, soit partiellement, soit totalement exonératoire de responsabilité pour le producteur, suivant les circonstances de l’espèce.

En revanche, le fait d’un tiers n’est pas une cause d’exonération de responsabilité pour le producteur (Article 1245-13 du Code civil).

Ensuite, le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux prévoit des causes spécifiques d’exonération pour le producteur.

En effet, l’article 1245-10 du Code civil dispose que :

« Le producteur est responsable de plein droit à moins qu’il ne prouve :

1° Qu’il n’avait pas mis le produit en circulation ;

2° Que, compte tenu des circonstances, il y a lieu d’estimer que le défaut ayant causé le dommage n’existait pas au moment où le produit a été mis en circulation par lui ou que ce défaut est né postérieurement ;

3° Que le produit n’a pas été destiné à la vente ou à toute autre forme de distribution ;

4° Que l’état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en circulation, n’a pas permis de déceler l’existence du défaut ;

5° Ou que le défaut est dû à la conformité du produit avec des règles impératives d’ordre législatif ou réglementaire.

Le producteur de la partie composante n’est pas non plus responsable s’il établit que le défaut est imputable à la conception du produit dans lequel cette partie a été incorporée ou aux instructions données par le producteur de ce produit
 ».

La principale cause d’exonération pouvant être alléguée par le producteur est le risque de développement.

Pour échapper à sa responsabilité, le producteur peut tenter de démontrer que l’état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en cirulation, n’a pas permis de déceler l’existence du défaut.

Toutefois, cette cause d’exonération connaît une limite, prévue à l’article 1245-11 du Code civil. Cette cause d’exonération ne peut en effet être invoquée lorsque le dommage a été causé par un élément du corps humain ou par les produits issus de celui-ci. Cette exception vise principalement l’hypothèse du SIDA d’origine transfusionnelle.

Application possible du régime de la responsabilité du fait des produits défectueux aux contraceptifs :

Dans un arrêt récent, la Cour de cassation est venue appliquer le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux aux contraceptifs.

En l’espèce, le 22 novembre 2007, une jeune femme, âgée de 25 ans au moment des faits, est décédée d’une embolie pulmonaire massive.

A la suite d’une expertise diligentée au cours d’une procédure de règlement amiable, la survenue de cette embolie pulmonaire a été imputée à la prise du contraceptif oral.

La procédure de règlement amiable n’ayant pu aboutir, les parents et les frères de la victime ont alors assigné en indemnisation l’Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux, des Affections Iatrogènes et des Infections Nosocomiales (l’ONIAM), lequel a appelé en intervention forcée le producteur du contraceptif, sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux.

Une nouvelle expertise, avant dire-droit, a été ordonnée.

Par arrêt en date du 9 mai 2017, la Cour d’Appel de LYON a mis hors de cause le producteur du contraceptif et condamné l’ONIAM à lui verser une indemnité en application des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile. 

Pour ce faire, la Cour d’Appel de LYON a considéré que le contraceptif oral ne pouvait être considéré comme défectueux dès lors que la notice l’accompagnant comportait une mise en garde contre le risque thromboembolique et l’évolution possible vers une embolie pulmonaire.

L’ONIAM s’est alors pourvu en cassation à l’encontre de cette décision.

Or, par arrêt en date du 26 septembre 2018 (Cour de cassation, Civile 1ère, 26 septembre 2018, Pourvoi n°17-21271), la Cour de cassation a censuré l’arrêt rendu par la Cour d’Appel de LYON au visa des articles 1386-4, devenu l’article 1245-3 du Code civil, et de l’article L.1142-1 II du Code de la Santé Publique.

Selon la Cour de cassation, la Cour d’Appel de LYON aurait dû rechercher, nonobstant les mentions figurant dans la notice, si la gravité du risque thromboembolique encouru et la fréquence de sa réalisation excédaient les bénéfices attendus du contraceptif en cause et si, les effets nocifs constatés n’étaient pas de nature à caractériser un défaut du produit au sens de l’article 1245-3 du Code civil.

Par conséquent, la Cour de cassation casse l’arrêt rendu par la Cour d’Appel de LYON et renvoie l’affaire devant la même juridiction autrement composée.

La Cour d’Appel de renvoi devra donc se prononcer sur l’éventuelle défectuosité du contraceptif oral en mettant dans la balance la gravité du risque encouru et la fréquence de sa réalisation par rapport aux bénéfices attendus.

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