Incontinence anale et urinaire consécutive à un accouchement à l’aide de forceps : indemnisation possible au titre d’un accident médical non fautif par l’ONIAM

Le 24 mars 2008, à la suite d’un accouchement réalisé à l’aide de forceps, la patiente a conservé une incontinence anale et urinaire.
Le 20 janvier 2015, une expertise judiciaire a été réalisée.
Le 28 décembre 2015, la patiente a assigné en responsabilité et indemnisation l’hôpital privé au sein duquel elle a accouché ainsi que l’Office Nationale d’Indemnisation des Accidents Médicaux (ONIAM), aux côtés de la Caisse Primaire d’Assurance Maladies des Hauts-de-Seine.
Par arrêt avant dire droit du 23 septembre 2021, la Cour d’Appel de PARIS a ordonné une nouvelle expertise médicale.
Les Experts Judiciaires ont déposé leur rapport le 29 septembre 2022.
Par arrêt en date du 23 novembre 2023, la Cour d’Appel de PARIS a écarté la responsabilité de l’établissement de santé privé et a rejeté les demandes d’indemnisation de la patiente à l’encontre de l’ONIAM.
Pour écarter tout droit à indemnisation de la patiente au titre d’un accident médical non fautif, la Cour d’Appel de PARIS a considéré :
- D’une part qu’il n’existerait aucun lien causal entre le recours au forceps et l’incontinence anale et urinaire présentée par la patiente. En effet, aux termes de leur rapport, les Experts énoncent notamment que « la cause de l’incontinence anale est, outre la rupture du sphincter anal, un étirement ou compression du nerf pudendal au cours du travail et du dégagement, évènement imprévisible ». Selon la Cour d’Appel de PARIS, le dommage présenté par la patiente ne serait donc pas en lien avec l’utilisation des forceps mais seulement en lien avec l’effet naturel de l’accouchement par voie basse ;
- D’autre part que la condition d’anormalité ne serait pas remplie. En effet, aux termes de leur rapport, les Experts énoncent notamment que « la survenance d’une incontinence anale du post-partum touche près de 13% des parturientes après un premier accouchement » et que « le risque d’incontinence anale est plus significatif dans un certain nombre de cas, et notamment lorsque l’âge de la parturiente est « supérieur à 35 ans ». Les complications présentées par la patiente n’étaient donc pas anormales selon la Cour d’Appel de PARIS.
La patiente s’est alors pourvue en cassation à l’encontre de cette décision.
Aux termes de son pourvoi, elle rappelle tout d’abord s’agissant du lien de causalité que les Experts ont pris soin de souligner, dans leur rapport, que « Le forceps joue un rôle prépondérant puisqu’il est observé à 4 à 7 fois plus d’incontinence anale du post partum après leur utilisation » et que « l’incontinence anale inconstante et urinaire permanente est en rapport direct et certain avec l’accouchement en cause et ses modalités par forceps, par rupture du sphincter anale associée à une neuropathie du nerf pudendal ; 50% est attribué à l’état antérieur ».
Selon la patiente, loin de rattacher l’étirement ou la compression du nerf pudendal à l’effet naturel de l’accouchement par voie basse ni exclure le lien entre cet évènement et le geste médical, les Experts ont retenu le rôle prépondérant de l’utilisation des forceps dans l’incontinence anale résultant conjointement de la rupture du sphincter anal et de l’étirement ou la compression du nerf pudendal.
Toujours selon la patiente, la Cour d’Appel de PARIS a donc dénaturé les termes clairs et précis du rapport d’expertise judiciaire en date du 20 janvier 2015.
Par ailleurs, s’agissant de l’anormalité, elle rappelle ensuite que les Experts ont pris soin de souligner, dans leur rapport, que :
- « l’incontinence anale du post partum est le plus souvent transitoire et régresse soit spontanément soit sous l’effet de traitements en quelques semaines ou mois » ;
- « le parcours médico-chirurgical de la patiente montre que l’évolution de cette incontinence anale n’est pas banale » ;
- « nous confirmons que le tableau de la patiente ne rentre pas dans les complications fréquentes d’un aléa obstétrical » ;
En se fondant sur le risque général de survenance d’une incontinence anale du post partum, quelle que soit sa gravité, pour écarter la condition d’anormalité, alors que les Experts avaient clairement conclu que le taux de survenance de l’incontinence anale du post partum habituellement rapportée ne pouvait concerner les troubles présentés par la patiente, beaucoup plus rares, la Cour d’Appel aurait dénaturé le rapport d’expertise judiciaire du 29 septembre 2022.
Or, par arrêt en date du 4 juin 2025 (Cour de cassation, Civile 1ère, 4 juin 2025, Pourvoi n°24-11214), la Cour de cassation a fait droit à l’argumentation développée par la patiente et censuré l’arrêt rendu par la Cour d’Appel de PARIS et ce, au visa de « l’obligation pour le juge de ne pas dénaturer l’écrit qui lui est soumis ».
La Cour de cassation commence par préciser que les Experts concluaient que « l’incontinence anale inconstante et l’incontinence urinaire permanente de Mme [L] est en rapport direct et certain avec l’accouchement en cause et ses modalités par forceps ».
Selon la Cour de cassation, il existait donc bien un lien de causalité entre, d’une part l’utilisation des forceps lors de l’accouchement et, d’autre part l’incontinence anale et urinaire présentée par la patiente.
Ensuite, la Cour de cassation prend soin de préciser qu’en réponse aux Dires des parties, les Experts ont rappelé que si « l’incontinence anale du post partum est le plus souvent transitoire et régresse spontanément soit sous l’effet de traitements en quelques semaines ou mois » et que « si l’incontinence anale du post partum se limite le plus souvent à une incontinence aux gaz voire aux selles liquides », la situation de Mme [L] est différente en ce que « le parcours médico-chirurgical de la patiente montre que l’évolution de cette incontinence anale n’est pas banale », en ce que « 14 ans après l’accouchement il persiste une incontinence anale sévère (score Wexner 17) malgré tous les traitements entrepris, avec retentissement très significatif sur la qualité de vie », en ce que « ce type d’incontinence anale est donc beaucoup plus rare que les taux d’incontinence anale post accouchement habituellement rapportés dans la littérature ».
Les Experts avaient conclu que « le tableau de la patiente ne rentre pas dans les complications fréquentes d’un aléa obstétrical ».
Selon la Cour de cassation, la condition d’anormalité est donc bien remplie en l’espèce.
Pour l’apprécier, il ne faut en effet pas se fonder sur le risque général de survenance d’une complication à la suite de la réalisation d’un acte médical mais sur le risque de survenance de cette complication au regard de la gravité des dommages présentés par le patient.